Périgord : Beynac, « vestige de la bêtise humaine » ?

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Blotti entre la Dordogne et une falaise couronnée d’un château, le village de Beynac est incontournable. Pour les touristes, comme pour la justice qui a ordonné la démolition d’un contournement routier en chantier, énième épisode d’une épique saga qui enflamme les esprits depuis des décennies.

Il y a deux ans, un tribunal administratif enjoignait pour la première fois au Conseil départemental et son président Germinal Peiro (PS) de remettre en état le site, où les travaux avaient commencé début 2018. Depuis, le jugement est devenu définitif et ce projet de 3,2 km de route pour 32 millions d’euros, avec deux ponts et un pont-rail, a été annulé. Mais rien n’a bougé : des piles de pont en béton luisent au soleil et des échafaudages rouillent sous la pluie.
Le feuilleton de cette déviation remonte aux années 70 quand le père de M. Peiro, alors maire du village voisin de Vézac, et celui de l’actuel chef de file des opposants Kleber Rossillon, alors maire de Beynac, étaient rivaux. Mais c’est surtout depuis les années 90 que partisans et opposants se livrent une guérilla verbale, comptable et judiciaire sur la nécessité de contourner ce village de 500 habitants, classé parmi les plus beaux de France et très prisé des touristes. Alors que les partisans disent vouloir désengorger et sécuriser Beynac, les opposants, soutenus par le médiatique Stéphane Bern, affirment défendre l’environnement et le cachet de la vallée. De l’opposant enchaîné dans une grue pour bloquer le chantier aux partisans manifestant avec des fourches tels des « Jacquou le croquant » révoltés, les deux camps semblent irréconciliables. Pour les pro-déviation, les opposants sont des « châtelains » fortunés qui ne veulent pas de route près de leurs belles demeures. Et des « résidents secondaires qui n’ont pas de problèmes de transport au quotidien », selon un commerçant de Castelnaud-la-Chapelle. Pour les anti, le projet n’aurait pour résultat que de « bétonner » un site naturel exceptionnel. « Le village est divisé, les gens ne veulent plus se croiser dans les commerces, ça se ressent sur l’ambiance », regrette une habitante de Beynac, alors qu’un commerçant ne souhaite pas s’exprimer de peur de perdre « la moitié de (s)a clientèle ».

Déclaré d’utilité publique fin 2001, le projet connaît une sortie de route en décembre 2018 quand le conseil d’Etat suspend les travaux. L’année suivante, la justice administrative estime que, ne répondant pas à une « raison impérative d’intérêt public majeur », la déviation ne peut déroger à l’interdiction de porter atteinte à des espèces protégées dans un site Natura 2000 et « réserve de biosphère ». Il faut démolir ! Le département a bien lancé une procédure en ce sens, mais à tâtons. Et Germinal Peiro est « fermement convaincu que la déviation sera terminée un jour. Jeter 40 millions d’argent public -26 déjà dépensés et 14 pour la démolition- à la rivière, qui peut accepter ça ? », demande le patron du département, ancien champion de canoë et élu local depuis 38 ans. D’ailleurs, « une liste pro-déviation l’a emporté aux municipales dans les quatre communes concernées par le projet. C’est un référendum », assure-t-il. D’après les opposants, démolir ne coûterait que 3,1 M EUR hors taxes. Leur avocat Me Jean-Philippe Maginot a demandé à la justice de prononcer une astreinte d’au moins 500 euros par jour contre le département, qui « cherche à gagner du temps ».
M. Peiro assure qu’il faut faire des études environnementales avant de lâcher les bulldozers: pas de coups de pelle avant le « printemps 2023 ». « Une différence d’appréciation, constate le préfet Frédéric Périssat. Le département estime que l’Etat doit l’autoriser à démolir. L’Etat, par ma voix, lui dit qu’il n’y en a pas besoin », un arrêté de juin encadrant juridiquement la procédure.
Propriétaire de deux châteaux, Kleber Rossillon est consterné par cet attentisme:« Détruire ne portera pas plus atteinte à l’environnement que la construction! Il suffit de scier les piles de ponts et défaire les terrassements ». Autre opposant notoire, Philippe d’Eaubonne, président de l’Association de sauvegarde la vallée de la Dordogne, conteste l’idée que des travaux de démolition entraîneront un risque d’éboulement dans les falaises déjà fragiles, à cause des vibrations, comme l’affirme un Syndicat mixte local (Smetap). « Encore un montage, grince M. d’Eaubonne. C’est comme pour le trafic routier: ils ont compté jusqu’à 300 camions par jour à Beynac, ça doit inclure aussi les grenouilles… ». Pourtant, Fabrice Berbessou, président de J’aime Beynac et sa vallée, explique photos à l’appui que les camions « montent sur le trottoir pour se croiser » dans le bourg.
Pro-déviation assumé qui accuse les anti de « Peiro bashing », le président du Smetap Patrick Bonnefon assure que détruire serait un « remède pire que le mal ». Et si ce chantier reste dans l’impasse, il deviendra pour les générations futures un « vestige de la bêtise humaine ».