🆓 Quand les hommes sont confinés, les animaux dansent (5 mn)

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Méduses géantes dans les canaux de Venise, dauphins dans le Bosphore, dugongs au large de la Thaïlande… Les témoignages se multiplient de par le monde : les animaux profitent de la diminution des activités humaines en période de confinement pour se montrer un peu plus.

Les bateaux de pêche ne pétaradent plus. Les usines sont à l’arrêt. Les touristes ont disparu. Dans la lagune albanaise de Narta, la pandémie de coronavirus fait les affaires des flamants roses qui y promènent leur élégante silhouette en nombre toujours croissant. La tranquillité règne désormais dans cette étendue marécageuse d’eau salée située au nord de la baie de Vlora, séparée de la mer Adriatique par une étroite bande littorale, où les eaux azur scintillent sous un soleil de printemps. « Dans la situation actuelle, on a changé de rôle, l’homme est confiné alors que la faune a repris tous ses droits et profite des libertés qui lui sont conférées par la nature« , dit à l’AFP Nexhip Hysolokaj, spécialiste de biodiversité. La lagune de Narta est une zone protégée mais au fil des années, l’activité humaine et l’urbanisation sauvage ont sérieusement empiété sur l’environnement, menaçant les écosystèmes. Cependant, dès l’apparition du premier cas de Covid-19 en Albanie le 9 mars, les autorités ont instauré des mesures extrêmement restrictives qui ont mis le pays à l’arrêt. A Narta, cela signifie que les embarcations de pêche dont les moteurs perturbent les oiseaux ne sortent plus, pas plus que les dizaines de ferries et de bateaux qui effectuaient chaque jour la liaison avec l’Italie et la Grèce à partir du port de Vlora tout proche, poursuit Nexhip Hysolokaj, responsable de la zone protégée. De la même façon, la circulation s’est singulièrement réduite sur la route nationale distante d’à peine 500 mètres. Les fabriques alentour qui rejetaient dans la lagune des résidus polluants, en particulier une usine de traitement du cuir et un producteur d’huile d’olives, sont en sommeil.

Résultat : c’est la renaissance pour la quarantaine d’espèces d’oiseaux migrateurs qui peuplent ce paradis ornithologique, avec ses petits îlots verdoyants et ses collines plantées de maquis. Selon un recensement réalisé par les responsables du site, les flamants roses étaient en janvier au nombre de 1.961, venus d’Afrique, d’Italie, de Grèce, d’Espagne et de Camargue, en France. Deux oiseaux bagués dans les salins d’Aigues-Mortes ont ainsi été repérés. Aujourd’hui, ils sont plus de 3.000 à s’ébattre dans la lagune. Selon Mirjan Topi, auteur du premier guide sur les oiseaux d’Albanie, les flamants qui « se promènent pendant quelques années dans les différentes régions de la Méditerranée, jusqu’à la maturation sexuelle« , ne se reproduisaient pas jusqu’à présent dans le petit pays des Balkans. Mais cette année, les experts espèrent que la quiétude couplée à l’abondance de nourriture inciteront les oiseaux à rester pour se reproduire et nicher. Car depuis déjà trois semaines, les couples « se déplacent un peu plus loin dans la lagune et ouvrent le bal des parades nuptiales« , raconte Nexhip Hysolokaj. « C’est le temps de l’amour« , renchérit Odise Celoaliaj, expert en environnement.

A moins de 100 kilomètres au nord, dans le parc national de Divjaka, le calme est également bienvenu pour le pélican frisé, nommé ainsi à cause des plumes qui lui donnent l’air de porter une perruque. Une petite île de 22 km2 en plein centre de la lagune est le seul site de reproduction de ce grand oiseau migrateur en Albanie. Il accueille environ 85 couples reproducteurs, soit le plus grand nombre de pélicans frisés recensés depuis une trentaine d’années, d’après Ardian Koci, directeur du parc. La nature est époustouflante dans un endroit victime ces dernières années de l’appétit dévorant de l’industrie touristique et de l’urbanisation sauvage, avec la construction de dizaines de bâtiments illégaux. Les restaurants et hôtels du parc où vivent 252 espèces animales, dont près de la moitié figurent sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), sont fermés. La lagune accueille normalement en cette saison 50.000 visiteurs mensuels mais, cette année, les flamants roses, les aigles pomarin et les sarcelles d’été profitent d’une paix royale. Plusieurs dizaines d’ibis falcinelles prennent leurs aises dans les ruelles et sentiers désertés par les humains. Ardian Koci voudrait que la pandémie, qui a fait une trentaine de morts en Albanie, soit l’occasion d’un rééquilibrage entre la nécessité de développer le tourisme dans un pays très pauvre et la protection de la biodiversité. « Je serais égoïste de dire que seule la nature compte » mais il faut des « mesures urgentes pour mettre fin aux abus qui ont tellement nuit aux écosystèmes« , lâche-t-il. « Notre tâche est de préserver la biodiversité pour mieux servir le tourisme« .

A Istanbul, en Turquie, le confinement fait également des heureux : les dauphins du Bosphore. Avant la pandémie, des centaines de pêcheurs s’alignaient chaque jour le
long des rives du Bosphore. Elles sont maintenant presque désertes. Moins de bateaux dans le détroit entre Europe et Asie, moins de pêcheurs et un calme inhabituel. Reliant la Méditerranée à la Mer Noire en passant par le centre d’Istanbul, le détroit du Bosphore est une voie d’eau étroite (moins de 3 km de large) et d’ordinaire très fréquentée. Mais avec le confinement, il y a moins de trafic et davantage de poissons, ce qui attire les dauphins plus près des rives, à la grande joie des habitants. A Sarayburnu, promontoire qui sépare la Corne d’Or de la mer de Marmara, une bande de dauphins a été aperçue en train de nager avec une nuée de mouettes. « La baisse du trafic maritime et humain dans le Bosphore a un impact important, souligne Erol Orkcu, président de l’association des pêcheurs amateurs d’Istanbul. Les êtres vivants, aquatiques et terrestres, sont délivrés de la présence humaine. Ce qui permet aux dauphins de s’approcher plus près de la rive« .

En Asie, un banc de plus de 30 dugongs a été aperçu flânant au large d’une île thaïlandaise, selon des images aériennes de ces mamifères marins proches du lamantin diffusées par le Centre opérationnel des parcs marins nationaux. L’industrie du tourisme, stratégique pour la Thaïlande, s’est effondrée depuis le début de l’épidémie de coronavirus qui a paralysé les transports au niveau planétaire, et des millions de Thaïlandais ont perdu leur emploi. Mais la quasi-disparition des touristes sur les côtes thaïlandaises a permis à la faune et la flore de se régénérer. Un nombre record de nids de tortues luth a ainsi été constaté sur les plage désertées du pays. Des images prises par drone et diffusées par le Centre opérationnel des parcs marins nationaux montrent également les dugongs prenant le soleil dans des eaux turquoises transparentes au large de l’île de Libong.

En Italie, Venise s’est vidée de ses touristes depuis début mars, ses eaux et sa vase ne sont plus remuées par les milliers de bateaux, taxis, vaporetti, gondoles, embarcations privées, qui la sillonnent d’ordinaire. « La flore et la faune de la lagune n’ont pas changé durant le confinement. Ce qui a changé, c’est notre chance de les voir« . Zoologue, Andrea Mangoni plonge sa caméra dans les eaux de Venise pour y sonder la vie. Un crabe lance ses pinces pour essayer d’attraper cet intrus indiscret ; des méduses affleurent au ras de la surface, tandis que des bancs de poissons passent tranquillement dessous ; les bulots et autres coquillages s’accrochent aux célèbres pilotis de la Sérénissime ; des algues de toutes les couleurs ondulent au gré des courants. L’occasion pour Andrea Mangoni, dont le métier est de vulgariser la zoologie, de faire le plein d’images. Son image d’une méduse se propulsant doucement dans un canal limpide, est devenue virale sur les réseaux sociaux. « Les sédiments restent au fond. Désormais, on peut voir à 50 ou 60 centimètres, et même parfois à un mètre sous la surface, dit-il. En conséquence, on peut observer des animaux qui étaient littéralement dissimulés dans les eaux troubles« , poursuit-il, expliquant n’avoir jamais vu « une eau aussi claire » en vingt ans qu’il travaille à Venise. « La seule différence« , poursuit le jeune homme, c’est que « certains animaux qui étaient relégués dans les canaux les plus grands ou les plus larges, peuvent maintenant aller aussi loin que le centre historique, puisqu’il n’y a plus de gondoles, de bateaux à moteur ou de plus petites embarcations« .

« Ce n’est pas uniquement le trafic et la pollution des bateaux qui ont diminué à Venise. C’est aussi le bruit, qui est une autre forme de pollution et perturbe beaucoup d’organismes vivants de la lagune« , dit à l’AFPTV Marco Sigovini, chercheur à l’Institut des sciences marines de Venise (ISMAR-CNR) qui raconte avoir vu dans les canaux du centre un poulpe jamais observé auparavant à cet endroit. « La faune et la flore du lagune de Venise sont en fait bien plus diversifiées et intéressantes que ce qu’on pourrait penser. Mais comme les eaux sont en général troubles, on ne prête pas attention à ces organismes« , poursuit Marco Sigovini. A ses yeux, l’image de la méduse nageant tranquillement dans le canal n’est pas si surprenante : « Depuis 20-30 ans, les méduses sont devenues plus nombreuses dans nos mers. Elles rentrent de plus en plus fréquemment dans la lagune, notamment à certaines saisons, peut-être apportées par des courants« , selon le scientifique. « En temps normal, le trafic est très intense, donc c’est très possible qu’elles soient souvent tuées« . « On a l‘impression d’être sur une barrière de corail, il y a une quantité de couleurs et de formes de vie extraordinaire, qui rendent la lagune unique« , dit Andrea Mangoni, qui fait généralement ses images sur son trajet pour aller au travail. Mais Marco Sigovini se garde de tout enthousiasme sur les conséquences à long terme du confinement pour l’environnement : « Il est probable que ces quelques mois de confinement ne soient pas suffisants pour un changement important de la qualité de notre écosystème.«