Ce sont souvent les gouvernements européens qui résistent aux mesures proposées par Bruxelles pour protéger le climat et c’est d’abord sur eux que les militants écologistes doivent faire pression, déclare Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne.
« Parlez-moi, gardez-moi dans la boucle, restez critiques, mais surtout parlez à vos gouvernements nationaux, car ce sont eux qui résistent très souvent aux réformes que la Commission propose,a déclaré M. Timmermans lors d’une visioconférence organisée par deux organisations écologistes, Fridays For Future et Youth For Climate. Nous les pousserons et nous pousserons le parlement européen, mais vous devez nous donner un coup de main », a-t-il insisté.
Timmermans s’exprimait deux jours après la présentation par la Commission de propositions pour défendre la biodiversité et une alimentation de qualité. Ces mesures, prises dans le cadre d’un « pacte vert », préconisent notamment une réduction de 50% des pesticides dans l’agriculture d’ici à 2030. Leur annonce a inquiété plusieurs fédérations d’agriculteurs, n’ont pas empêché certaines organisations écologistes, dont Fridays For Future et Youth For Climate, d’interpeller vendredi le commissaire en exigeant d’aller jusqu’à refondre la politique agricole commune (PAC). Les militants visent le premier pilier de la PAC qui comprend les aides directes à la production, versées aux agriculteurs en fonction des surfaces agricoles. Ils réclament de passer à des subventions conditionnées aux méthodes agricoles utilisées et à leur impact sur la société et sur l’environnement. [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]
« Une trop grande part des aides directes ne vont pas aux fermiers ou aux gens qui travaillent la terre, mais aux grands propriétaires terriens, il y a vraiment là un problème que nous devons résoudre, a reconnu M. Timmermans. Mais pour envisager une refonte des aides, les gouvernements de l’UE devront donner leur accord et, très souvent, ils sont très réticents parce qu’ils ont peur que ce soit trop lourd pour leurs paysans», a-t-il prévenu. « Nous devons reconnaître qu’il y a un changement de la politique de l’UE mais vous poursuivez le mauvais objectif,lui a déclaré un des jeunes participant à la réunion, en réclamant des objectifs clairs de réduction des émissions de gaz à effet de serre».
Timmermans a rappelé qu’en Europe, environ 10% des émissions de gaz à effet de serre étaient le fait de l’agriculture. Estimant qu’il y avait suffisamment de marges de manoeuvre dans les propositions de réforme formulées par la Commission, pour obtenir des avancées significatives dans la protection du climat, M. Timmermans a averti : « supprimer le premier pilier ou le modifier radicalement ne permettra pas, de près ou de loin, d’obtenir un accord avec les États-membres et le Parlement européen ».
L’avant-veille de ces déclarations, la Commission européenne avait dévoilé ses projets pour défendre la biodiversité et une alimentation de qualité, non sans effrayer les agriculteurs et l’industrie phytosanitaire. Malgré des voix qui s’étaient élevées en faveur d’un report pour se concentrer sur la réponse à la crise sanitaire et économique causée par le coronavirus, la Commission a dévoilé deux nouveaux plans d’action très attendus par les défenseurs de l’environnement. L’équipe d’Ursula von der Leyen assure que la propagation du virus l’a confortée sur la voie de son Pacte vert. « Si la crise du Covid nous a appris une chose (…) c’est qu’il faut recalibrer notre rapport à la nature, nous devons être plus résistants, nous assurer que la façon dont nous vivons, produisons, consommons, est durable », avait alors expliqué Frans Timmermans.
La Commission s’est engagée à proposer de réduire de moitié « l’utilisation de pesticides » d’ici 2030. Elle souhaite également une « baisse de 20% de l’utilisation des engrais et une baisse de 50% de la vente d’antimicrobiens pour les animaux d’élevage et l’aquaculture ». Ces chiffres ont été immédiatement rejetés par les fabricants de pesticides qui les ont qualifiés d' »irréalistes ». « Les objectifs présentés aujourd’hui devraient emmener le secteur agricole sur le chemin de la transformation, non sans sacrifices, mais en collaboration avec toutes les parties impliquées dans la production de notre nourriture », a réagi Géraldine Kutas, directrice générale de l’ECPA, l’association européenne de l’industrie phytosanitaire.
Bruxelles veut également développer l’agriculture biologique, à hauteur de 25% des terres cultivées. Seule l’Autriche flirte avec ce niveau, la moyenne pour l’UE étant d’un peu plus de 7,5%. Pour l’IFOAM, association qui représente des acteurs de la chaîne d’approvisionnement bio, ces objectifs ne seront atteignables que « s’ils sont totalement pris en compte dans les négociations en cours sur la réforme de la Politique agricole commune ». Selon des sources à la Commission, cela ne sera pas le cas, mais il sera demandé aux Etats membres de prendre en compte les différents objectifs avancés dans leurs futurs plans stratégiques en lien avec la nouvelle PAC. La présentation bruxelloise a été très mal accueillie par le Copa-Cogeca, principal syndicat agricole européen. « Nous voulons poursuivre notre chemin vers une agriculture respectueuse de l’environnement et investir plus. Mais ces stratégies s’y prennent mal. Elles représentent une attaque généralisée sur l’agriculture européenne »,a dénoncé Joachim Rukwied, président du Copa. Toujours en matière d’alimentation, la stratégie « De la ferme à la table » prévoit un étiquetage nutritionnel obligatoire, qui doit aider les consommateurs à faire « des choix informés ». Pas de législation directe pour influer sur la production de viande donc, comme le voulaient certains groupes environnementaux, principale déception de Greenpeace.« La Commission européenne (…) reconnaît que la production et la consommation de trop de viande sont mauvaises pour la santé, détruisent la nature et entraînent la dégradation du climat, mais elle choisit de ne rien faire à ce sujet »,a déploré Marco Contiero pour l’ONG. « Un public bien informé saura faire les choix qui influenceront aussi cette production »,a répondu M. Timmermans. Le Bureau européen des consommateurs (Beuc) a regretté qu’un tel étiquetage ne serait pas discuté avant fin 2022. « De nombreuses études ont montré que le Nutri-Score est l’étiquette que les consommateurs comprennent le mieux et six pays l’ont déjà adopté », a noté Monique Goyens, directrice du Beuc.
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