Pour en finir avec les morsures de serpents : plus d’antivenins (3 mn)

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Pour soigner les victimes de serpents venimeux, l’Afrique a besoin d’antivenins efficaces, d’un coût abordable et en quantités suffisantes, ce qui n’est actuellement pas le cas, au grand dam des spécialistes et organisations œuvrant en première ligne contre les effets
ravageurs de ces morsures.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a décidé de prendre le problème à bras-le-corps et vient de publier une feuille de route globale pour diminuer de moitié à l’horizon 2030 le nombre annuel de décès (entre 81.000 et 138.000 actuellement) et de personnes souffrant de séquelles permanentes (400.000) provoquées par les morsures de serpents. Aux côtés de la formation des personnels de santé et de la sensibilisation des populations à risque, l’OMS met un accent tout particulier sur les antivenins, pierre angulaire du traitement des victimes. La méthode, mise au point à la fin du 19e siècle, n’a guère évolué depuis 50 ans: il s’agit d’extraire du venin du serpent dont on veut protéger la population, et de l’injecter par doses progressives à un animal de bonne taille, souvent un cheval, pendant plus d’une année. L’animal développe des anticorps, lesquels sont ensuite collectés dans le sang de l’animal et purifiés. L’antivenin est conditionné dans une ampoule en verre et prêt à être utilisé, en intraveineuse. Le secteur des antivenins pour l’Afrique a été complètement bousculé lorsque le laboratoire français Sanofi a arrêté la production en 2014 de son antivenin polyvalent « FAV-Afrique », essentiellement pour des raisons de rentabilité. Les dernières doses ont été utilisées en 2016. Différents acteurs africains ou indiens se sont alors engouffrés dans la brèche, en proposant des antivenins à l’efficacité plus ou moins avérée. L’ONG australienne Global Snakebite Intiative, spécialiste de la question des morsures de serpents, dénonce « l’introduction opportuniste de contrefaçons de mauvaise qualité ou d’antivenins inappropriés, avec souvent des effets désastreux », et des prix en hausse pour compenser la baisse des ventes. Médecins sans frontières (MSF) a ainsi dû se résoudre à mener sa propre évaluation des produits en circulation pour déterminer ceux à retenir pour ses centres de soins. « Nous évaluons les antivenins existants, qui pour la plupart ont été mis sur les marchés sans aucune donnée clinique, sans aucune donnée d’efficacité ou d’innocuité chez l’homme », explique Julien Potet, en charge des maladies tropicales négligées au sein de MSF. Et quand la qualité des produits n’est pas remise en cause, c’est leur disponibilité qui fait défaut. Ainsi, une étude de 2018 menée par l’École de médecine tropicale de Liverpool soulignait qu’un antivenin sud-africain polyvalent avait prouvé son efficacité mais qu’il était très difficile de s’en procurer en dehors de l’Afrique australe. « Le marché reste volatil, confirme M. Potet : Ce sont de petits producteurs et le marché des antivenins africains est assez limité. En général, ils (les fabricants) attendent d’avoir une commande de plusieurs personnes en même temps qui justifie le lancement d’une production (…) Il faut donc vraiment anticiper la demande ».

« Nous n’avons pas assez d’antivenins à l’heure actuelle. Nous perdons chaque année 1.000 personnes au Kenya à cause des morsures de serpents », peste Royjan Taylor, directeur du laboratoire Bio-Ken à Watamu, sur la côte kényane, qui récolte et vend du venin pour la fabrication d’antivenin. Tous les acteurs de la filière attendent avec impatience d’ici quelques mois les conclusions des travaux de l’OMS, qui a lancé une vaste étude des antivenins disponibles en Afrique, pour déterminer notamment leur efficacité et leur innocuité. L’OMS ambitionne également de restructurer le marché en s’assurant de la disponibilité de 500.000 traitements anti-venimeux par an d’ici 2024 en Afrique sub-saharienne, puis de 3 millions de traitements dans le monde d’ici 2030. L’organisation espère « revigorer les investissements dans la production d’antivenins et établir un environnement qui attire de nouveaux fabricants, stimule la recherche et encourage l’innovation ». « Les gouvernements et organisations internationales doivent vraiment prendre ce problème à bras-le-corps, tout simplement parce que c’est la bonne chose à faire, plaide Royjan Taylor. Il espère voir d’ici 5 à 10 ans, même 15, un antivenin produit pour chaque région du globe concernée et qui serait disponible gratuitement pour les habitants ».