L’huile de palme pourrait-elle devenir durable? La voie s’avère étroite (3 min)

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L’huile de palme peut-elle devenir un produit inoffensif pour l’environnement et la biodiversité ? Producteurs, négociants, industriels de l’agroalimentaire et ONG peinent à déterminer des critères de production renforcés et admis par tous, qu’ils espèrent pourtant annoncer d’ici à la fin 2018.

Première huile végétale consommée dans le monde, l’huile de palme est issue de plantations couvrant 25 millions d’hectares dans le monde, dont 18,7 millions hectares de plantations industrielles, selon une estimation de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Elle est massivement utilisée dans l’agroalimentaire, les carburants, la pharmacie, ou les cosmétiques. Depuis 2004, certains acteurs du secteur, surtout européens, ont élaboré ensemble une certification dite « responsable », censée garantir que la culture du palmier à huile ne se fait pas au détriment de la forêt primaire et des droits fondamentaux des populations locales. Mais l’action de l’organisme Roundtable for Sustainable Palm Oil (RSPO) qui certifie 20% de la production mondiale, est contestée. Greenpeace l’accuse de n’avoir que très peu d’effet sur la déforestation en Malaisie et Indonésie, principaux producteurs. L’ONG a en particulier accusé cette semaine le géant agro-industriel singapourien Wilmar de double discours, membre du RSPO d’un côté, déléguant la déforestation à des sociétés proches de lui de l’autre. L’UICN aussi établi un constat sévère sur la certification, qui a « fourni peu de bénéfices additionnels pour la conservation » et n’a pas empêché des effets dévastateurs sur l’érosion des sols, la qualité de l’eau et la biodiversité, selon un rapport publié mardi. Pour autant, l’UICN estime qu’interdire l’huile de palme serait vain. « Il y aura une autre huile qui prendra le dessus » dont la culture sera encore plus dévastatrice pour l’environnement et consommatrice de surfaces agricoles, a estimé Erik Meijaard, principal auteur du rapport, devant la presse mardi à Paris. « Il y a beaucoup de terres déjà dégradées qui pourraient être utilisées au lieu de s’attaquer aux forêts pour établir des plantations » a-t-il dit à l’AFP.

Pour le scientifique Marc Ancrenaz, spécialiste des orang-outans, établi à Bornéo depuis plus de 20 ans, « il est tout à fait possible de continuer à développer l’huile de palme tout en conservant les orang-outans » très menacés à Bornéo, car « il s’agit d’une espèce intelligente qui peut s’adapter à la transformation de son milieu » mais « qui a besoin de la forêt pour survivre ». En attendant, la réunion des acteurs de la filière mondiale, mardi à Paris, a permis d’essayer de mobiliser sur les critères de certification, qui n’ont pas évolué depuis 2013 et sont en cours de révision. Le président du RSPO, Datuk Darrel Webber, a promis à cette occasion qu’une « nouvelle norme » serait présentée en novembre en Malaisie, sans donner de détail. « C’est vrai que le RSPO de 2013 n’a pas répondu aux attentes, qu’il y a encore beaucoup de déforestation, mais c’est le seul outil qui existe et il faut l’utiliser, notamment en participant aux consultations organisées jusqu’au 1er août » souligne Mickael Blais, responsable des approvisionnements de la société suisse Givaudan (parfums et arômes). L’objectif est d’arriver à une norme « RSPO Next » qui signifierait zéro déforestation, c’est-à-dire qui autoriserait la culture de palmiers à huile uniquement sur des terres déjà dégradées, mais ni sur les forêts primaires, ni sur les tourbières ni sur les forêts secondaires riches en biodiversité. Dans ce débat, au sein d’une « task force » composée de 24 membres, 12 producteurs, six industriels et six ONG, « les industriels se retrouvent paradoxalement souvent aux côtés des ONG pour tenter de faire évoluer les producteurs » souligne une source européenne proche des négociations. L’huile de palme fait vivre des millions de personnes dans le monde, dont 4,5 millions rien qu’en Indonésie et Malaisie, pays qui ont renforcé leur lobbying en Europe ces dernières années. En Europe, certains industriels membre du RSPO ont pour leur part anticipé le renforcement des critères. « Un peu plus de 60% de nos approvisionnements sur une douzaine de matières premières agricoles, dont l’huile de palme, sont libres de déforestation actuellement » estime Jean-Manuel Bluet, directeur du développement durable chez Nestlé France.