Pour lutter contre la déforestation, le gouvernement et les ONG mettent en place un autre modèle économique au bénéfice des populations.
Le long d’une piste à l’entrée de la réserve, des troncs patinés par le temps sont empilés, témoins de l’activité des bûcherons clandestins au coeur de cet espace protégé de 2.800 km2. Un peu plus loin, des camions où s’entassent des copeaux de bois saisis par les autorités rouillent au milieu des herbes folles. « Il y a eu d’énormes problèmes d’exploitation illégale du bois entre 2014 et 2016 mais la situation s’est stabilisée depuis », témoigne José Mohamede Dias, l’administrateur de la réserve. Sa forêt sèche de Miombo regorge de « bois de fer », un bois très résistant, et d’essences précieuses cibles de tous les pillages. « L’autre défi, ce sont les feux de brousse pour la chasse et l’agriculture sur brûlis dont dépendent les populations », souligne M. Dias. C’est même la principale cause du recul de la forêt. Toujours en quête de sols plus fertiles, les paysans n’hésitent pas à décimer les arbres à la tronçonneuse pour ouvrir des champs. La population des pourtours de la réserve – plus de 10.000 personnes – s’accroît rapidement et exerce une pression de plus en plus forte sur les ressources naturelles. Selon l’ONU, environ 7 millions d’hectares de forêts tropicales disparaissent chaque année dans le monde.
Pour tenter de freiner le phénomène, l’ONG française Nitidae initie les paysans locaux à l’agriculture écoresponsable. Courbé sous le soleil brûlant, « l’élève » Alexandre Soares, âgé d’une cinquantaine d’années, nettoie son champ. Depuis un an, un technicien lui apprend à lutter contre la sécheresse et à produire de manière durable. « Il m’a donné des conseils. Il m’a expliqué qu’il fallait laisser certains arbres au milieu des cultures. Leurs feuilles se décomposent et fertilisent la terre pour la saison suivante », récite le producteur en triturant sa casquette blanche. Dinis Augusto, un des spécialistes de Nitidae, inspecte ses semis, qui combinent maïs, manioc et haricots. « Associer ces plantes permet d’assurer la durabilité des sols. Comme ça, les agriculteurs passent plus de temps dans la même zone et n’ont plus besoin de chercher de nouvelles terres ». Lentement, ces pratiques vertueuses se diffusent dans la région. La hausse de la productivité des exploitations-pilote a achevé de convaincre les paysans.
En plus de l’exploitation illégale et de l’agriculture, la forêt de la réserve de Gilé est aussi menacée par la fabrication du charbon de bois, principale source d’énergie des foyers de la région. Pied nus plantés dans la terre, Luis Aghostino bêche obstinément le sol pour y installer un four à charbon: quelques bûches empilées en rangs serrés, recouvertes de paille et de terre; et au sommet, l’ouverture d’où sera initiée la carbonisation du bois. Là encore des modifications simples, comme des ventilations aménagées sous le four, ont permis de fabriquer plus de charbon, de meilleure qualité et avec moins de bois. « Ça ne coûte pas plus cher, les matériaux sont exactement les mêmes et ça ne prend pas plus de temps », résume Alexandre Trégourès, de l’ONG Nitidae. « Avec cette quantité de bois, on peut produire jusqu’à sept sacs de charbon, alors qu’on en obtenait seulement deux ou trois avant », confirme Luis Aghostino.
La réserve de Gilé espère valoriser ses efforts en commercialisant des crédits carbone, alors que 10 à 15% des émissions de gaz à effet de serre mondiales proviennent de la déforestation. Un projet de l’ONU appelé « Redd+ », qui permet aux émetteurs de CO2 de diminuer leurs émissions, a été lancé dans la réserve en collaboration étroite avec le gouvernement mozambicain. Il est financé par le Fond français pour l’environnement mondial et géré par l’Agence française de développement (AFD). Grâce à un système d’imagerie par satellite et des inventaires forestiers, il est possible de quantifier les stocks de carbone et de surveiller l’évolution de la masse forestière. « De 2010 à 2016, on a constaté une diminution de la déforestation dans la zone tampon de la réserve. Des émissions de gaz à effet de serre ont été évitées grâce aux alternatives mises en place », se réjouit Jean-Baptiste Roelens, le représentant de Nitidae au Mozambique. Les pratiques écologiques ont permis une réduction des émissions de l’ordre de 300.000 tonnes de carbone en cinq ans. Chaque tonne non émise permet l’obtention d’un crédit, qui se monnaie entre 5 et 8 dollars sur le marché international. La vente de ces crédits carbone pourrait rapporter de 2 à 3 millions de dollars à la réserve d’ici fin 2018. « Cet argent sera réinvesti localement pour financer le développement durable des communautés et soutenir d’autres projets environnementaux », souligne M. Roelens.