Plus de 750 experts du monde entier sont réunis pour une semaine en Colombie pour évaluer la « crise » de biodiversité à laquelle la Terre est confrontée et préconiser des solutions contre l’extinction massive d’espèces, la première depuis la disparition des dinosaures.
« Protéger la biodiversité est aussi important que lutter contre le changement climatique », a annoncé le président Colombien Juan Emmanuel Santos, en inaugurant la VIe session plénière de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), un organisme indépendant chargé de regrouper les connaissances scientifiques sur l’état de la biodiversité mondiale et de conseiller les gouvernements sur leurs politiques environnementales. Le forum rassemble des scientifiques et des décideurs de 116 des 128 états membres de l’IPBES jusqu’au 26 mars à Medellin, deuxième ville de Colombie, pays le plus bio-divers de la planète après le Brésil et qui compte plus de 56.300 espèces de plantes et d’animaux. La Colombie, n°1 pour le nombre d’espèces d’orchidées et d’oiseaux (plus de 1.920, 19% du monde), est traversée par trois cordillères andines, une topographie complexe qui a permis l’évolution de 311 écosystèmes différents. La guerre, qui a fait plus de huit millions de victimes entre morts, disparus et déplacés internes, a longtemps converti en zones interdites d’immenses parties du territoire, ainsi paradoxalement préservées. Le pays entend de plus investir dans l’écotourisme, et la ville de Medellin elle-même s’est engagée dans la protection de la biodiversité en 2014 : elle a créé des parcours verts, aménagé des passages à faune au niveau du Rio Medellin et établi un système de paiements pour services environnementaux à 450 familles des zones rurales engagées à préserver la forêt. Mais dans le pays, 1.200 espèces sont menacées par le déboisement et la pollution, dus en particulier à l’agriculture et à l’élevage extensifs, aux plantations illicites de marijuana et de coca, matière première de la cocaïne, qui a servi à financer le conflit, et aux exploitations minières clandestines. « Ce qui arrive à l’un, arrive à tous. Si nous en sommes conscients, nous pourrons être plus responsables en matière de protection de l’environnement et de préservation de la paix », a estimé M. Santos. « Aujourd’hui, le monde est à un carrefour », a ajouté Sir Robert Watson, président de l’IPBES, déplorant que « l’historique et actuelle dégradation et destruction de la nature sabote le bien être humain pour les actuelles et innombrables futures générations ».
Selon IPBES, la Terre est confrontée à une « extinction massive » d’espèces, la première depuis la disparition des dinosaures il y a environ 65 millions d’années, la sixième en 500 millions d’années. A Medellin, les experts évaluent les dégâts sur la faune, la flore et les sols de la Terre. Puis seront dévoilées les grandes lignes de cinq volumineux rapports, ainsi que des solutions pour minimiser l’impact des activités humaines sur l’environnement. « En dégradant la biodiversité, nous réduisons aussi la nourriture des gens, l’eau propre que nous devons boire et les forêts qui sont nos poumons », a averti le directeur exécutif du Programme des Nations-Unies pour l’environnement (PNUE), Erik Solheim, dans un message retransmis depuis Brasilia, où il participe au Forum mondial de l’eau. Pour dresser son état des lieux, l’IPBES a divisé la planète en quatre régions: Amériques, Afrique, Asie-Pacifique et Europe-Asie centrale. Chacune a fait l’objet d’une analyse approfondie et d’un rapport de 600 à 900 pages, que les experts vont étudier à huis clos. Puis le diagnostic sera rendu vendredi prochain. Un second bilan sera extrait lundi 26 mars d’un cinquième rapport, le premier du genre sur l’état des sols du monde, de plus en plus dégradés par la pollution, la déforestation, l’exploitation minière et des pratiques agricoles non durables qui les appauvrissent. « Un défi immensément ambitieux nous attend cette semaine », a souligné la secrétaire exécutive de l’IPBES, Anne Larigauderie. Durant trois ans, quelque 600 chercheurs de plus de 100 pays ont travaillé bénévolement sur ces évaluations, qui synthétisent les données d’environ 10.000 publications scientifiques. Le résultat final couvre la totalité de la Terre, hormis les eaux internationales des océans et l’Antarctique. Les experts vont en outre élaborer des synthèses d’un trentaine de pages, destinées aux dirigeants des pays membres de l’IPBES, afin de les orienter en matière de protection de la biodiversité. Le contenu en sera négocié « mot par mot ». Allant des transports à l’éducation, en passant par l’agriculture, ces « résumés » ne sont pas contraignants. Ce sont des « suggestions », avait précisé Mme Larigauderie à l’AFP, avant le forum. « Il se peut que certains pays ne soient pas satisfaits de ce que le rapport dit de l’état de leur biodiversité », a-t-elle averti. Selon le Fonds mondial pour la nature, le dérèglement climatique pourrait d’ici 2080 menacer entre un quart et la moitié des espèces de 33 régions du monde parmi les plus riches en biodiversité.
Durant le Forum, la délégation française intervient dans les quatre groupes, à savoir Europe et Asie centrale, Afrique, Amériques et Asie-Pacifique. Quatre ministères sont présents (affaires étrangères, écologie, recherche et agriculture), ainsi que deux instituts de recherche (le Centre National de la Recherche Scientifique – CNRS, et le Muséum National d’Histoire Naturelle – MNHN), l’Agence française de la biodiversité (AFB) et la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB) qui appuie la délégation en tant que Secrétariat du Comité français pour l’IPBES.