A la surface de l’eau, des milliers de carpes flottent retournées, l’œil vitreux : depuis quelques jours dans la province irakienne de Babylone, les pisciculteurs ne récoltent plus que des poissons morts, touchés par un mystérieux mal qui remonte l’Euphrate.
« Il y en a qui disent que c’est un virus, d’autres que ce sont des produits chimiques, rapporte Hussein Faraj, en balançant un cageot de poissons morts aux écailles argentées hors d’un de ses bassins. Comme lui, dit-il à l’AFP, tous les pisciculteurs de sa localité de Saddat al-Hindiya attendent que le gouvernement apporte une solution ou qu’il fasse analyser l’eauoù sur des kilomètres flottent des bancs de poissons sans vie qui s’accrochent à des déchets et à des branches flottantes. Cette eau pourrait bientôt nous empoisonner nous aussi », s’alarme l’homme, alors que la question de l’eau polluée a déjà provoqué une crise sanitaire sans précédent en Irak, surnommé en arabe le « pays des deux fleuves », le Tigre et l’Euphrate. Cet été, quelques 100.000 personnes avaient été hospitalisées, à l’autre bout de l’Euphrate, dans la ville méridionale de Bassora, pour avoir bu de l’eau, infectée par la pollution et l’eau salée du fleuve du Chatt al-Arab. A Bassora aussi, cette eau polluée avait fait des ravages chez les pisciculteurs forçant nombre d’entre eux, asphyxiés par les dettes, à jeter l’éponge. Pour Jaafar Yassine, à la tête de la direction locale de l’Agriculture de Saddat al-Hindiya, 90% des poissons d’élevage sont déjà morts alors que personne n’a toujours aucune idée de ce qui les a tué. « Cette maladie est un vrai mystère. Et elle est incontrôlable, affirme-t-il à l’AFP. Les pertes pour cette petite localité sur l’Euphrate, à 80 kilomètres au sud de Bagdad, se chiffrent déjà en milliards de dinars irakiens », soient des centaines de milliers de dollars, ajoute-t-il. Le pisciculteur Hussein al-Husseini estime avoir perdu « 80.000 dollars » (environ 70.000 euros) dans son exploitation où en temps normal 50.000 carpes s’ébattent dans 28 bassins. « Il faut que le gouvernement nous dédommage », lance l’homme, cheveux noirs de jais et barbe fournie soigneusement taillée. Anas Nohad, l’un de ses collègues, perd lui aussi patience quand il évoque les efforts des mois passés partis en fumée et « les centaines de milliers de dollarsde dettes contractés. J’avais 70.000 poissons dans ces bassins, tous sont morts aujourd’hui, s’époumone-t-il en pointant du doigt les dégâts. Où est-ce que je vais trouver des poissons maintenant?,se lamente-t-il encore. Tout le monde mange du poisson ici,affirme-t-il, alors que l’Irak s’enorgueillit d’avoir pour plat national la carpe grillée, appelée le »masgouf » en arabe. Et la pisciculture fait vivre beaucoup de monde et beaucoup de familles », poursuit l’homme, dans un pays qui produit chaque année 29.000 tonnes de poisson, majoritairement des carpes, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. La province de Babylone n’est pas la seule touchée. A Diwaniyah, à 80 kilomètres plus au sud encore, les poissons morts se comptent aussi par milliers. En charge de l’Agriculture dans cette province, Safa al-Janabi affirme à l’AFP que la concentration des poissons dans les bassins n’a fait qu’aggraver les pertes. « Un seul élevage a été touché et 56.000 poissons sont morts, soient 120 tonnes », explique-t-il. Vendredi, le ministère de la Santé a annoncé poursuivre ses tests d’échantillons d’eau et de poissons morts. Mais, a-t-il d’ores et déjà affirmé, « aucun cas de maladie contractée après avoir consommé du poisson n’a été signalé » auprès des consommateurs, tout en précisant surveiller de près les étals des marchés de poisson. Pour Yahya Meri, qui dirige la clinique vétérinaire de Babylone, le mystère persiste. « Les tests, dit-il, n’ont jusqu’ici pas prouvé que l’eau avait été empoisonnée. Une seule chose est sûre, assure-t-il, c’est que cette maladie a frappé d’un couple pays des deux fleuves. Et qu’elle l’a fait durement ».