ONG et députés de gauche dénoncent mercredi une « fuite en avant » et des « régressions environnementales » dans le projet de loi présenté par le gouvernement pour favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs, largement remanié après des semaines de manifestations.
Le gouvernement a augmenté le volume de ce texte, en préparation depuis plus d’un an, pour satisfaire une partie des revendications du syndicat majoritaire FNSEA, son principal interlocuteur pendant la crise qui a éclaté cet hiver autour d’une multitude de doléances (bureaucratie, revenu, considération du métier…).
A la sortie du Conseil des ministres, Marc Fesneau a estimé que le gouvernement avait « posé les briques d’une réponse » à cette crise avec une soixantaine d’engagements (fonds d’urgence, simplifications, « pause » dans l’élaboration du plan de réduction de l’usage des pesticides…).
« Dans les prochains jours, sans doute », a-t-il ajouté, le président Emmanuel Macron « aura l’occasion de réunir l’ensemble des professionnels agricoles au sens large pour (…) partager une vision pour l’agriculture au-delà des sujets conjoncturels ou des sujets législatifs ».
La rencontre devrait avoir lieu la semaine prochaine, probablement vers le 11 ou le 12 avril, selon une source gouvernementale.
Le projet de loi doit être examiné à partir du 13 mai en séance à l’Assemblée nationale, pour une adoption définitive espérée avant l’été.
Dans l’exposé des motifs, le gouvernement explique adresser « un message de confiance » au monde agricole, « dont l’activité sera libérée de normes et de contraintes devenues superflues, contradictoires ou excessivement lourdes ».
« Recettes du passé »
Pour les ONG et l’opposition de gauche, il omet les enjeux de rémunération et manque d’ambition pour embarquer l’agriculture dans sa nécessaire transition face au dérèglement climatique: limiter son impact sur la nature, émettre moins de carbone, être plus économe en eau, moins consommer d’engrais et pesticides…
« Si le terme de transition agroécologique est récurrent dans le texte, les mesures concrètes pour la mettre en œuvre sont presque inexistantes et certaines d’entre elles entraînent même un retour en arrière », estime dans un communiqué Thomas Uthayakumar, directeur du plaidoyer de la Fondation pour la nature et l’homme (FNH).
L’association Agir pour l’environnement dénonce un texte qui « consacre une trajectoire d’industrialisation et de négation de l’urgence environnementale, cédant à toutes les exigences cyniques des syndicats productivistes ».
« L’agrobusiness en a rêvé, la FNSEA l’a demandé, le gouvernement l’a fait », tacle Greenpeace.
Le syndicat minoritaire Confédération paysanne, classé à gauche, dénonce une « fuite en avant » du gouvernement, qui « utilise les vieilles recettes du passé (…) au profit de quelques-uns et au détriment du plus grand nombre ».
« Les mobilisations agricoles ne doivent pas être instrumentalisées au profit de reculs sur le plan sociétal et environnemental », reproche encore le collectif Nourrir, qui rassemble une cinquantaine d’organisations en faveur d’une refonte du système agricole et alimentaire.
Pour la députée LFI Aurélie Trouvé, cette loi « entérine de graves régressions environnementales, plutôt que d’offrir aux agriculteurs les moyens de faire la bifurcation agro-écologique ». Le parti a expliqué en conférence de presse vouloir notamment la création de « 263 nouvelles classes » en lycée agricole et « tripler le budget consacré aux installations des nouveaux agriculteurs ».
« Intérêt général majeur »
Le premier article de la loi, ainsi que l’exigeait la FNSEA, consacre l’agriculture, la pêche et l’aquaculture au rang d' »intérêt général majeur en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire de la Nation ».
Cette disposition est destinée à « nourrir la réflexion du juge administratif » quand il aura à trancher un litige autour d’un projet agricole, selon le cabinet de Marc Fesneau. Autrement dit, quand il faudra mettre dans la balance production de nourriture et impératif de protection de la nature.
Le texte vise aussi à réduire les procédures autour des constructions de réserves d’eau pour l’irrigation et de bâtiments d’élevage.
L’objectif du gouvernement est de raccourcir les délais du contentieux mais aussi d’atténuer les conséquences légales pour les exploitants en cas d’atteintes à la biodiversité (destruction de haie par exemple).
Dans une France agricole qui a perdu 100.000 fermes en dix ans, et pour « faire émerger une nouvelle génération d’agriculteurs », le gouvernement créé un nouveau diplôme, prévoit des visites de fermes pour les écoliers, des stages pour les collégiens et lycéens ou encore la création de groupements fonciers agricoles d’investissement afin de faciliter l’accès aux terres.