En forêt de Rambouillet, le martyre silencieux des grenouilles

Jerzy Górecki de Pixabay

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« C’est à sec »: de mare en mare, le constat se répète. En forêt de Rambouillet, le salut des futures grenouilles, tritons et salamandres se jouera dans les 15 jours. Faute de pluie, des milliers d’amphibiens seront condamnés.

Laurent Tillon, chargé de mission faune et biodiversité à l’Office national des forêts, n’a jamais vu cela. Debout, au milieu d’une mare asséchée, il effectue ses relevés, qui iront enrichir la base de données de l’ONF, gestionnaire des 11 millions d’hectares de forêts publiques françaises.  « 17 mars, température 12°C, niveau d’eau +à sec+, amphibiens +aucune observation+ ».  « Depuis 25 ans, on n’avait pas connu de difficulté majeure, même pendant la sécheresse de 2003. Là, je commence à être vraiment inquiet », souffle l’écologue forestier.  La marche reprend à travers la forêt. Direction une de ses mares « de référence » dans les 150 hectares de forêt qu’il sillonne toute l’année à la recherche du vivant.  Il ne reste de ce refuge aquatique de 20 mètres de diamètre où il a d’habitude « de l’eau jusqu’à la taille » qu’une trouée boueuse, « probablement creusée par un sanglier ».  « Cette mare est à sec depuis juillet 2022. Cela veut dire que cela fait deux ans que le cycle de reproduction des amphibiens n’a pu s’achever », souligne Laurent Tillon.  Tritons, crapauds et grenouilles pondent entre février et avril selon l’espèce, puis le cycle larvaire dure trois à quatre mois. C’est au plus tôt en juin que les petits amphibiens, dont les branchies se sont atrophiées pour laisser place à des poumons, sortent de l’eau pour gagner les sous-bois.  Les amphibiens adultes peuvent survivre un ou deux ans sans mare: ils cherchent d’autres points d’eau à quelques centaines de mètres alentour. Mais l’assèchement des mares menace directement leur reproduction.  Dans ce secteur, s’il ne pleut pas abondamment dans les 15 jours, des milliers d’oeufs n’atteindront même pas le stade de larve. Pour Laurent Tillon, « l’avenir des populations d’amphibiens va se jouer l’année prochaine », car même les adultes ne survivraient pas à une troisième année sans eau.

Cerf, héron et grenouille agile

La sécheresse menace toute la biodiversité de Rambouillet: 22.000 hectares d’une frontière verte entre Paris et la plaine céréalière de la Beauce.  Ce massif, qui aurait abrité la forêt des Carnutes où se réunissaient les druides gaulois, était considéré comme « le château d’eau » des Yvelines du fait de la densité de son réseau de cours d’eau, étangs et marais. Le château de Versailles y puisait son eau au XVIIe siècle.  Au carrefour des influences atlantique et continentale, y coexistent des milieux très secs et très humides, des sols sableux et des tourbières. S’y abritent des dizaines d’espèces protégées, des salamandres aux chauves-souris ou pics mar, qui affectionnent les vieux chênes.  Dans cette zone de l’ouest du massif, il ne reste que deux des 40 mares surveillées par Laurent Tillon. Les plantes aquatiques peuvent produire des graines qui « vont rester en dormance pendant des années, enfouies dans le sol. Les plantes savent faire cela, pas les animaux », explique-t-il.  Quelques centaines de mètres plus loin, enfin, une mare a résisté. L’écologue sourit, relève des tas de pontes de « grenouille agile », de petits amas d’oeufs noirs dans une gangue nourricière qui affleurent à la surface de l’eau.  Asséché l’an dernier, ce point d’eau, alimenté par des sources voisines, est un refuge pour de très nombreux animaux.  Plein d’espoir, Laurent Tillon chemine vers la grande mare voisine, où cerfs et sangliers se retrouvaient le printemps dernier. « Un héron venait pêcher, il y avait une vie incroyable ».  Soudain, il s’immobilise. Encore un grand trou vide. Sur la terre humide gisent des centaines d’oeufs. « Tout va crever ».  « Ici, la plupart des mares sont des +mares de nappe+, alimentées par des eaux souterraines » dont le très faible niveau cette année explique la disparition.  Laurent Tillon sait que le visage de sa forêt va changer. Même les chênes souffrent. « On le voit à l’absence de bourgeons au bout des branchettes du sommet ».  En avril, une hydrologue viendra étudier les mares et voir comment les maintenir le plus longtemps possible.