Ouganda: une mouche au secours des agriculteurs touchés par la hausse des prix des engrais

2004
wikicommons
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Quand les prix des engrais se sont envolés après l’invasion russe de l’Ukraine, Peter Wakisi s’est inquiété pour l’avenir de sa ferme et de sa famille. Puis une mouche est venue au secours de ce villageois du centre de l’Ouganda.

Peter Wakisi fait partie d’un programme d’élevage et de vente de larves de mouche soldat noire, lancé par une startup néerlandaise pour venir en aide aux agriculteurs locaux.  Ces minuscules larves sont dotées d’un insatiable appétit pour les déchets organiques et leurs puissantes enzymes gastriques les transforment en engrais.  Peter Wakisi en élève plusieurs milliers dans des bidons, qu’abrite son village de Kawoomya Nyiize, dans le centre de l’Ouganda. Et les bénéfices dépassent ses espérances.   « Le fumier des déchets générés par la mouche soldat noire, mélangé aux déchets organiques et aux excréments de porc, est sans danger pour le sol et coûte beaucoup moins cher que les engrais non-organiques dont les prix ont augmenté avec la guerre entre la Russie et l’Ukraine », explique ce père de quatre enfants.  « Les engrais organiques ont réduit de près de 60% les dépenses que j’avais pour les engrais chimiques. Mes plantes sont en meilleure santé et les rendements sont meilleurs maintenant », ajoute-t-il.   D’autant qu’une fois les larves écloses, il revend les insectes à des scientifiques trois fois le prix d’achat des larves.   Ce programme est géré par Marula Proteen Limited, startup néerlandaise basée dans la capitale Kampala, et est en partie financé par le gouvernement des Pays-Bas.  « La matière produite par les mouches soldats noires regorge de microbes sains qui fournissent des nutriments essentiels », explique Tommie Hooft, directeur de Marula Proteen.  « Un sol qui ne reconstitue pas son potentiel organique finit par s’épuiser et les rendements des plantes diminuent considérablement », souligne-t-il.

Local et inépuisable

Pour Scola Namataka, mère célibataire vivant dans le village de Nakirubi à Kayunga, il était impensable d’élever des insectes connus pour se régaler d’excréments.  « J’ai dit que ce n’était pas possible d’élever ces asticots », raconte cette trentenaire, en fourrant sa main dans un bidon pour en sortir une poignée de larves frétillantes.   Mais avec des rentrées d’argent de plus en plus rares et le sol de la ferme familiale de plus en plus pauvre, elle n’avait guère le choix quand elle a entendu parler en mars de ce programme.   Depuis qu’elle s’est inscrite, ses cultures prospèrent, dit-elle. Et elle s’est même habituée à l’odeur âcre de l’installation d’élevage des larves dans son jardin.  Depuis la guerre en Ukraine, la mouche noire soldat apparaît comme une véritable alternative pour les exploitations agricoles dépendantes des engrais, russes notamment.  « Notre engrais organique est produit localement et toujours disponible », explique Tommie Hooft.  Les femelles adultes pondent des centaines d’oeufs au cours de leurs deux semaines de vie et avec l’appétit vorace des larves – qui multiplient par 6.000 leur taille initiale -, peu de risque de manquer de fumier.  Marula Proteen vend également de l’engrais à de grandes entreprises, comme Clarke Farms qui possède 1.500 hectares de plantations de café à environ 300 kilomètres à l’ouest de Kampala.

Petite mouche, grands effets

La startup néerlandaise s’est associée avec la municipalité de la capitale Kampala et elle collecte entre huit et dix tonnes par jour de déchets, notamment sur les marchés, qui sont ensuite utilisés pour nourrir les larves.  « Enrichir les sols en utilisant des nutriments organiques est un procédé durable, renforçant la résilience des sols qui nourrissent les plantes », déclare Ruchi Tripathi, de l’ONG Service de volontariat à l’étranger (VSO) qui s’est associée avec Marulo Proteen.   Selon elle, cette petite mouche noire est une solution à de nombreuses problématiques.  « Cela améliore la sécurité alimentaire, réduit la dépendance à des fertilisants chimiques onéreux à base de pétrole, ce qui permet de lutter contre le changement climatique », poursuit-elle.  Elle a également permis à Peter Wakisi de louer un tracteur, nourrir ses enfants et payer les frais de scolarité pour ses quatre frères et soeurs cadets.   Le père de famille n’a plus à se soucier des prix des engrais, qui continuent d’augmenter. « J’ai abandonné les fertilisants chimiques », assure-t-il.