Libres, les bisons se réapproprient leurs terres dans l’Ouest canadien 

David Mark de Pixabay

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David Mark de Pixabay
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Minuscules face aux Rocheuses canadiennes, ils sont de retour dans les prairies, arpentent les montagnes… Les bisons des plaines qui se comptaient autrefois par dizaines de millions au Canada avant d’être exterminés, ont retrouvé leurs terres ancestrales, ramenant un équilibre dans l’écosystème.

Animal emblématique du paysage nord-américain, plus gros mammifère du continent, il a disparu à l’état sauvage au XIXe siècle, principalement en raison de la chasse pratiquée par les colons.  « Le jour où les bisons ont posé le pied sur ce territoire, j’ai eu le sentiment de les avoir ramenés chez eux », confie Wes Olson qui a accompagné les 16 premiers individus dans le parc de Banff, le plus ancien du pays.  Transférés par voiture puis hélicoptère depuis une réserve 450 kilomètres plus au nord, les naissances se sont rapidement multipliées et ils seront près de 100 d’ici à la fin de l’année.  Compte tenu de ce « taux de croissance vigoureux », le groupe pourrait ne plus être classé en voie d’extinction d’ici une dizaine d’années, a conclu Parcs Canada dans un rapport final publié cette semaine, qualifiant le projet pilote de « succès ».  Dès leur arrivée, « c’est comme si tout le savoir ancestral emprisonné dans le territoire s’était soudain réactivé », raconte M. Olson, ancien gardien de parcs nationaux, fasciné de voir que les autres espèces ont « intrinsèquement » su tirer profit des bisons.   Au printemps, les écureuils aux joues toutes gonflées, s’affairent à récupérer les poils laissés par ces paisibles colosses, raconte l’homme de 69 ans à la silhouette élancée et aux traits burinés cachés sous un large chapeau de cow-boy.  Mais les oiseaux ne sont pas en reste: sur les dos pelés des bisons, ils se relaient, à la recherche de graines ou de petits bouts de fourrure pour confectionner leurs nids et ainsi augmenter les chances de survie de leurs petits.

Ingénieurs de l’écosystème

Véritable « clé de voûte » de l’écosystème, le bison sauvage, par son mode de pâturage, a façonné la région des grandes plaines américaines au fil des siècles.   Cela profite également aux autres espèces comme les wapitis ou les boucs, explique Marie-Eve Marchand de l’Institut international de relation avec les bisons.  « Ces ingénieurs de l’écosystème » sont « les meilleurs brouteurs, un peu comme les éléphants en Afrique », ajoute cette passionnée, broche de bison sur la veste.   En se déplaçant continuellement, les troupeaux permettent à la terre de se régénérer, de s’enrichir mais aussi d’absorber davantage d’eau et de carbone, selon une étude de l’Université de l’Alberta. D’autres recherches montrent que la présence des bisons rend l’écosystème de la prairie plus résistant à la sécheresse.  En réintroduisant le bison à Banff, « lieu ancestral de rassemblement » des peuples autochtones, on ramène surtout « une partie de la relation que les premiers habitants de cet endroit avaient avec le territoire », souligne Marie-Eve Marchand.

Renouer avec des traditions oubliées

« Le bison était notre principale source d’alimentation, notre subsistance, notre refuge », raconte Violet Meguinis, de la communauté Tsuut’ina.   Sans ces grands herbivores nomades, les Amérindiens ont été contraints de se sédentariser dans les réserves, faute de nourriture.  « Le simple fait de les ramener et de les relâcher dans la nature est significatif pour nous », c’est « un pas vers la réconciliation » entre les peuples autochtones et le gouvernement canadien, glisse-t-elle sourire aux lèvres.   Parallèlement, plusieurs communautés autochtones ont également mis en place ces dernières années d’autres programmes de réintroduction.   A une centaine de kilomètres à l’est du parc de Banff, au coeur des grandes plaines de la province de l’Alberta, près de 400 bisons prospèrent dans la nation Tsuut’ina.  Pour Clayton Whitney qui s’occupe de ces animaux depuis huit ans, « aider à les sauver de l’extinction » est un « honneur » considérant le rôle qu’ils jouent pour la communauté.   Plusieurs plantes médicinales oubliées sont ainsi réapparues après le passage de ces géants aux sabots fendus et depuis quelques années, leur nombre permet à la communauté d’en tuer quelques-uns pour leur viande, renouant avec des traditions perdues.   Tous les habitants participent à ce rituel hautement symbolique, explique le gardien à la voix douce, des aînés qui enseignent quelles parties conserver, aux jeunes qui apprennent à dépecer.  A terme, les autochtones espèrent être impliqués davantage dans la gestion de cet animal, sacré pour eux.  « Nous voulons être en mesure de prendre des décisions », soutient Violet Meguinis. « Et ce pouvoir ne nous a jamais été donné. »