A la nuit tombée, des agents de l’Office français de la biodiversité (OFB), armés de pétards et de balles en caoutchouc, scrutent la montagne pour protéger les troupeaux d’éventuelles attaques des ours bruns évoluant en liberté dans les Pyrénées.
« On est là pour défendre le troupeau, pas pour faire du mal à l’ours », souligne l’un des agents en charge de ces tirs destinés à faire fuir, si nécessaire, ce mammifère imposant, pouvant mesurer jusqu’à 2,10 m et peser 250 kg. Après deux heures de marche, depuis le lac de Bethmale en Ariège, trois d’entre eux installent leur campement dans l’estive d’un groupement pastoral d’environ 2.000 brebis. Pendant deux nuits, ils se relaient à 1.980 m d’altitude pour veiller sur les bêtes. « Notre objectif c’est de tirer une cartouche à double détonation (sorte de pétard) au moment où un ours passe en phase d’attaque sur le troupeau », explique une agente, en déposant sac et fusil au pied de sa tente. Les balles en caoutchouc sont réservées « au cas où on se fait attaquer », ajoute-t-elle, précisant n’avoir jamais eu à les utiliser.
Soutenir les bergers
Se frayant un chemin parmi les brebis, le berger Zoïs Michel, 20 ans, vient à la rencontre de l’équipe de l’OFB, qui a requis l’anonymat. « Ça fait trois semaines que j’ai demandé l’effarouchement », explique-t-il à l’AFP, bâton sous le bras. « Quand les brebis dorment près de la cabane, je suis aux aguets. S’il y a quelque chose, je sors ». Cette nuit, grâce à l’OFB « je peux lâcher prise », explique-t-il. Malgré trois bergers, neuf chiens et deux enclos électrifiés, où le bétail peut être parqué la nuit, cette estive a subi 32 attaques d’ours depuis juin, selon la préfecture de l’Ariège, qui au 10 août en décomptait au total 265 dans le département. L’OFB a dénombré 331 attaques d’ours sur le cheptel dans les Pyrénées en 2022, contre 333 l’année précédente. « On a le job de l’effarouchement, mais on est aussi un soutien moral pour les bergers car c’est une situation compliquée », ajoute l’un des agents de l’OFB. Eleveur, François Thibaut est inquiet pour ses bergers. « C’est un salarié qui est là pour garder les brebis en journée. Donc si en plus il doit veiller toute la nuit, ça pose des problèmes », précise cet homme de 41 ans, chargé du dossier ours au syndicat agricole de la Confédération paysanne. La prédation est « très difficile à vivre, ce sont des situations violentes et des traumatismes », ajoute-t-il. Sur son estive, les tirs d’effarouchement ont été interdits par le tribunal administratif de Toulouse. « On est déçus de ces décisions de justice », dit-il, estimant que si ces tirs sont confiés « à des agents assermentés, c’est pour que l’ours ne risque rien ».
Des tirs contestés
Mais les défenseurs de la nature ne sont pas du même avis. Jadis présent partout en France, l’ours brun a vu sa population diminuer du fait de la chasse et de la destruction de son habitat par l’activité humaine. En 1995, il n’en restait que cinq dans les Pyrénées. Un programme d’introduction a alors été lancé. Depuis, la population progresse et l’OFB a recensé 76 ours l’an dernier. « On veut la paix pour les ours, qu’ils soient laissés tranquilles », déclare ainsi Jessica Lefèvre-Grave, directrice des relations externes et des investigations à One Voice, association qui a fait suspendre cinq arrêtés d’effarouchement en Ariège cette année. Il est difficile de mesure l’impact des tirs sur la santé des plantigrades, selon Christian Arthur, responsable scientifique au Parc national des Pyrénées pendant 25 ans, en charge notamment des ours. « Est-ce que ces tirs ont des conséquences auditives sur les ours ? (…) A force des tirs d’effarouchement répétés sur des estives, est-ce qu’on modifie les comportements, notamment des femelles avec les jeunes ? On ne sait pas », admet-il. Pour le géographe de l’environnement Farid Benhammou, qui étudie l’ours des Pyrénées depuis 1998, « ce recours à la violence est beaucoup trop rapide par rapport à son efficacité réelle ». « J’alerte les pouvoirs publics: céder trop facilement aux tirs d’effarouchement c’est aller sur une pente glissante qui pourrait amener à banaliser des tirs mortels d’ours », lance-t-il.