Sur une rive ensoleillée de la mer Rouge, des milliers de mangroves s’épanouissent: l’Egypte tente de sauver ces petits écosystèmes pour préserver sa biodiversité et de faire face au changement climatique.
Sous les racines tentaculaires de palétuviers désormais âgés de quelques mois, petits poissons et larves de crustacés prospèrent. « C’est tout un écosystème: en plantant une mangrove, on ramène une vie marine, des crustacés et des oiseaux », explique à l’AFP Sayed Khalifa, professeur d’agriculture. Depuis 2017, il dirige ce projet de reforestation à Hamata, dans le sud, qui couvre six zones de mangrove sur les deux rives égyptiennes de la mer Rouge: sur le continent africain et dans la péninsule du Sinaï.
« Au-delà des limites »-
Les palétuviers, arbres ultra-résilients, vont chaque jour « bien au-delà de leurs limites », assure le programme de l’ONU pour l’Environnement (UNEP). Ils absorbent cinq fois plus de carbone que les forêts terrestres, filtrent la pollution de l’eau, protègent des températures extrêmes et forment une barrière naturelle contre la montée des eaux. Et tout ça, alors que leur protection coûte mille fois moins cher au kilomètre que de construire des murs contre les vagues, selon l’UNEP. Malgré ces avantages compétitifs, entre les années 1980 et 1990, au moins 35% des mangroves du globe ont disparu. Et jusqu’à 80% dans certaines régions de l’océan Indien où les palétuviers ont toujours été une barrière naturelle aux tsunamis meurtriers. C’est que, explique à l’AFP Niko Howai, doctorant à l’Université britannique de Reading, les dirigeants ne se rendaient pas compte à l’époque « de l’importance des mangroves » et ont préféré « les opportunités de revenus » qu’offrait alors la construction à tout-va d’infrastructures touristiques côtières.
Le tourisme, poumon économique
« Le tourisme de masse et les complexes hôteliers qui provoquent de la pollution, les bateaux et le forage d’hydrocarbures » ont eu raison de nombreuses mangroves en Egypte, affirme à l’AFP Kamal Chaltout, professeur de botanique à l’Université de Tanta, dans le nord du pays. Actuellement, Le Caire consacre chaque année plus de 50.000 euros à la reforestation des mangroves. Mais tout cela « ne mènera à rien » si le tourisme et ses dégâts ne sont pas contrôlés, prévient M. Chaltout. Aujourd’hui, les mangroves couvrent près de 500 hectares en Egypte, une portion minime des mangroves de l’océan Indien. Impossible toutefois de savoir combien d’hectares ont disparu en tout. Une seule chose est sûre: en 2018, une équipe de chercheurs, dont M. Chaltout, rapportait que des mangroves recensées « dans les années 1950 et 1960 » avaient été entièrement éradiquées –notamment dans la région d’Hurghada, station balnéaire prisée des plongeurs du monde entier. Pour ces chercheurs, l’étendue des dégâts « dépasse probablement de loin des années de programmes de reforestation ». Car le palétuvier, explique M. Khalifa, est comme l’olivier: s’il peut survivre plus d’un siècle, il lui faut « 20 à 30 ans, et surtout une protection totale, pour atteindre convenablement sa taille adulte ».
« Robuste et sensible à la fois »
Malgré tout, il continue à croire à son projet de reforestation à Hamata et veut l’étendre « le plus au sud possible », dit-il, les pieds dans l’eau et le doigt pointé vers une marina pour yachts, six kilomètres plus au sud. Sur la mer Rouge –qui draine 65% des revenus du secteur touristique, vital en Egypte– ses plants de palétuviers devront zigzaguer entre ports de plaisance, hôtels et complexes touristiques. « Ce n’est pas impossible mais ce sera plus compliqué », prévient M. Howai, car « les palétuviers sont robustes, mais aussi sensibles, surtout quand ils sont jeunes ». Pour M. Khalifa, « il faut replanter, étendre les mangroves et impliquer les acteurs du tourisme ». Par exemple, dit-il, chaque hôtel pourrait planter des palétuviers dans sa zone. « On pourrait imaginer des avantages fiscaux » pour les inciter à agir, préconise-t-il. « Ils peuvent faire des profits, mais ils doivent aussi jouer un rôle dans la protection de la nature. »