Au bord de l’extinction au tournant du siècle, des dauphins d’eau douce reviennent en nombre sur le fleuve Indus au Pakistan, grâce au travail acharné des mêmes pêcheurs qui avaient failli les mener à la disparition.
Reconnaissables à leur rostre long et étroit, les dauphins de l’Indus vivaient autrefois sur toute l’étendue de ce cours d’eau qui coule de l’Himalaya à la mer d’Arabie. Aujourd’hui, ils restent concentrés sur une toute petite portion du fleuve, longue de 180 km, dans la province méridionale du Sindh. Voir les dauphins surgir hors de l’eau boueuse de l’Indus pour inspirer de l’air n’était pas rare. Mais sur les berges, la plupart des villageois ignoraient que les cétacés étaient au bord de la disparition. « Nous avons dû expliquer que c’était une espèce unique, qu’on ne trouvait que sur l’Indus et nulle part ailleurs« , explique à l’AFP Abdul Jabbar, qui a abandonné son métier de pêcheur pour contribuer à la sauvegarde de l’espèce, en patrouillant à moto les bords du canal de Dadu. La construction, à partir de la fin du 19e siècle, d’une vingtaine de barrages sur l’Indus, afin d’irriguer les plaines agricoles du centre du pays, a fragmenté l’habitat du dauphin, qui en été lors de la saison sèche s’est retrouvé incapable de regagner des zones plus propices du fleuve. Il a aussi souffert de la pêche non régulée, qui tarit ses réserves alimentaires, et de la pollution du fleuve causée par le déversement des eaux usées de villes en expansion et les produits chimiques des usines environnantes. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le dauphin de l’Indus figure sur la liste rouge des espèces menacées et 1.200 spécimens étaient encore en vie au début du siècle, soit deux fois moins que dans les années 40. Pour tenter d’infléchir la tendance, les services pakistanais de protection de la faune ont lancé une campagne de sensibilisation auprès des communautés locales de pêcheurs.
Ils ont offert des conseils sur l’emploi de filets de pêche qui ne risquent pas de blesser les dauphins, et mis en garde contre les risques de la pêche au poison, une technique consistant à utiliser des produits chimiques pour tuer des petits poissons qui servent ensuite de nourriture à volaille. La section pakistanaise du Fonds mondial pour la nature (WWF) a également débloqué près d’un million de roupies (5.300 euros) de prêts, pour encourager les pêcheurs à se reconvertir dans d’autres activités. Avec l’aide des autorités locales, ils ont établi un programme de surveillance des dauphins comprenant une centaine de volontaires et quelques employés, avec une ligne téléphonique d’urgence à appeler pour qui verrait un dauphin en difficulté. Abdul est désormais entièrement dévoué à son nouveau rôle. Récemment, il a manqué la naissance d’un de ses enfants pour aller secourir un dauphin piégé dans un des canaux enserrant l’Indus. « Les docteurs se préparaient pour la césarienne et il fallait que je sois avec mon épouse. Mais quand on m’a appelé, je me suis précipité cette nuit-là pour aller secourir le dauphin« , raconte-t-il. La dernière étude, datant de 2017, montre que la population de dauphins de l’Indus est désormais en hausse, 1.800 ayant été recensés, un nombre qui devrait avoir encore augmenté depuis selon les autorités de la faune. La légende locale veut que le dauphin de l’Indus était autrefois une femme transformée par le sort jeté par un saint, parce qu’elle avait un jour oublié de le nourrir. Les vieilles générations pensaient que les dauphins étaient maudits.
Les dauphins de l’Indus ont des yeux minuscules et sont presque aveugles. Ils se repèrent dans les eaux boueuses du fleuve grâce à l’écholocalisation. Les techniques de pêche dangereuses ne sont pas les seules menaces qui guettent les dauphins. Chaque janvier, quand le débit est à son plus bas, les écluses donnant sur les canaux sont fermées pour être nettoyées, ce qui créé des réservoirs naturels dans lesquels la faune marine peut se retrouver piégée. La hausse récente du nombre de dauphins est une « success story« , a affirmé à l’AFP un responsable du service de protection de la faune, Adnan Hamid Khan. « Mais avec une population plus importante apparaît le manque de nourriture, un espace moindre pour se déplacer. Leur territoire et leur terrain de reproduction ont diminué« , observe-t-il. Mais avec la présence à leur côté des pêcheurs, l’optimisme est de mise pour l’avenir des dauphins de l’Indus. « Maintenant nous sauvons les dauphins en y mettant autant d’efforts que pour des êtres humains« , apprécie Ghulam Akbar, un autre volontaire qui s’est mis à la pisciculture pour limiter son impact sur le fleuve. « Ils respirent comme nous les humains », dit-il. « Chaque homme charitable devrait les sauver.«