Poisson « durable » : les supermarchés français à la traine

Photo d'illustration ©RoDobby de Pixabay

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La Fondation Changing Markets dénonce les lacunes de la grande distribution française pour combattre l’approvisionnement en poissons sauvages de l’aquaculture intensive.

La France est le troisième plus grand marché de consommation de poisson frais de l’Union Européenne et le second producteur de produits aquacoles. La plupart des achats de poisson réalisés par les ménages pour la consommation à domicile se fait dans les grandes et moyennes surfaces. « De ce fait, les supermarchés ont une responsabilité importante dans la gestion des océans », soutient un nouveau rapport de la Fondation Changing Markets. Le document explore dans quelles mesures les supermarchés assument cette responsabilité et a pour but de fournir aux consommateurs français des informations sur les impacts de l’industrie aquacole dans le monde.

« D’après la FAO, en 2017, 93,8 % des stocks mondiaux de poissons marins avaient été exploités à leur limites écologiques ou étaient victimes de la surpêche. Étant donné que de nombreuses communautés locales dans le monde dépendent de stocks de poissons pour répondre à leurs besoins nutritionnels et assurer leur survie, il est impératif que nos océans soient correctement gérés et valorisés », indique le rapport intitulé « Dans les mailles du filet : comment les grandes surfaces françaises font face à l’utilisation de poissons sauvages dans les chaînes d’approvisionnement aquacoles ». Dans un contexte comme celui-ci, l’aquaculture et la pisciculture (élevage commercial d’espèces aquatiques) sont présentées comme une solution permettant de « cultiver » une source saine de protéines sans extraire de poissons de l’océan et par conséquent sans atteindre les limites environnementales.

Le rapport intervient en précisant que la réalité est malheureusement bien différente. « Les plus grands acheteurs mondiaux de poissons pélagiques – comme les sardines, le hareng ou les anchois – sont les industries de l’aquaculture et de l’élevage. Près d’un cinquième des débarquements mondiaux de poissons marins sont actuellement utilisés pour produire de la farine et de l’huile de poisson (FMFO, acronyme anglais pour Fish Meal and Fish Oil) qui alimentent l’élevage industriel et l’aquaculture. Une demande qui croît à mesure que l’industrie de l’aquaculture se développe. 69 % de la farine de poisson et 75 % de l’huile de poisson sont utilisés pour nourrir les poissons d’élevage alors que 90 % de ce poisson pourrait être utilisé directement pour nourrir l’humanité ».

Il est mis en avant que plus de la moitié des produits de la mer que nous consommons dans le monde proviennent d’installations d’aquaculture et que dans les supermarchés, des espèces sauvages comme la morue, le merlu, l’anchois, la lotte, le poulpe ou certains crustacés cohabitent avec des espèces d’élevage comme le saumon, la truite, les crustacés d’eau chaude, le bar ou la daurade. Le rapport note qu’à la vue de la proportion de FMFO utilisés pour alimenter les poissons d’élevage, de nombreuses espèces sauvages sont indirectement consommées par ce processus d’« aquaculture nourrie » (nom donné à l’aquaculture lorsqu’elle a recours au FMFO pour alimenter les poissons d’élevage). Cependant, beaucoup de consommateurs ne savent pas réellement d’où provient le poisson acheté, s’il est d’élevage ou pas et comment il a été nourri. La Fondation Changing Markets précise bien le rôle des supermarchés dans les choix de consommation du public. Ils ont un rôle d’intermédiaire entre les producteurs aquacoles et les consommateurs, « ils sont les acteurs les plus puissants du marché. Ils sont les arbitres des règles de la production alimentaire tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement et, à ce titre, portent la responsabilité de faire en sorte que leurs fournisseurs s’assurent de la bonne gestion des océans ».

La Fondation a ainsi classé dans son rapport les huit principaux acteurs de la grande distribution en France selon un système basé sur un ensemble de critères conçus pour évaluer l’efficacité avec laquelle ils assument leur responsabilité de protéger nos océans et d’offrir à leurs clients des poissons et fruits de mer d’élevage issus d’une production durable. « Seulement quatre enseignes sur huit ont répondu à notre questionnaire : Auchan, Carrefour, Système U et Intermarché/Les Mousquetaires. Elles reconnaissent l’existence d’un problème lié à la présence de farine et d’huile d’espèces sauvages dans les aliments aquacoles, cependant seulement trois d’entre elles – Auchan, Carrefour et Système U – ont pour objectif de réduire l’utilisation de FMFO en aquaculture, et une seule d’entre elles – Auchan – affirme avoir pour objectif de l’éliminer à terme (sans pour autant préciser d’échéance pour cet objectif ) », dénonce l’enquête ajoutant qu’« en comparant le classement que nous avons fait dans les différents pays, avec les mêmes indicateurs et la même méthodologie, il est surprenant de constater que les enseignes aient des politiques si différentes et que les résultats soient si décevants en France. Pour comparaison, au Royaume-Uni par exemple, la grande majorité dépasse 20 % et trois obtiennent plus de 30 %, dont Tesco (60 %) et Marks & Spencer (44 %). Quant à l’Allemagne, les résultats sont meilleurs qu’en France aussi : plus de la moitié dépasse le 20 %, dont Kaufland (48 %) et LIDL (38 %) ».

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