Trois questions à Maëlle Kermabon et Lucie Yrles, anciennes soigneuses de la faune sauvage et créatrice de l’association Cohabitation Sauvage, pour une nouvelle alliance Homme Animal.
Infonature : Vous avez été soigneuses de la faune sauvage au Centre Régional de Sauvegarde de la Faune Sauvage (CRSFS) de Villeveyrac, géré par la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) Hérault. A la lumière de cette expérience, qu’en concluez-vous sur la cohabitation entre l’homme et la faune sauvage en France?
Maëlle Kermabon et Lucie Yrles : Le constat que nous avons fait au fil de nos sept ans au CRSFS est qu’il y a un fossé entre la faune sauvage et nous. Une sorte d’incompréhension générale souvent causée par l’ignorance et la méconnaissance. Durant toutes ces années, nous avons vu le nombre d’appels téléphoniques – et le nombre d’accueils d’animaux blessés – augmenter de façon exponentielle. Nous avons vu les problématiques de cohabitation prendre une importance considérable. Actuellement, en fait de cohabitation, on reste plutôt chacun dans notre coin, et si un animal sauvage empiète sur nos plates-bandes (par exemple, une fouine dans nos combles), c’est « tu sors, ou je te sors ». De même, s’il entrave le bon déroulé de travaux publics, on ne va pas hésiter à le déloger, même s’il s’agit d’une espèce menacée en période de reproduction… Le comportement que nous réservons à la majorité des animaux non-humains, c’est l’ignorance, l’expulsion, ou la traque. Quant aux rares qui bénéficient d’un capital sympathie, paradoxalement, ils font parfois les frais de notre méconnaissance sur leur biologie et de notre envie de vouloir faire mieux que la nature. C’est, par exemple, le cas des hérisson, que les gens veulent souvent adopter, mais dont l’alimentation est complexe…
La cohabitation avec la faune sauvage, selon nous, doit commencer par une bienveillance justement dosée – les bonnes intentions mal placées peuvent causer plus de dégâts que l’indifférence – envers les animaux qui nous entourent. Nous pensons qu’il est indispensable de replacer le vivant au cœur de nos préoccupations et de notre développement. Par nos activités, nous modifions et artificialisons notre territoire, sans vraiment nous préoccuper de ceux avec qui nous le partageons. Apprendre à connaître les animaux pour mieux les comprendre est la porte d’entrée du « vivre ensemble ».
Infonature : Comment vous est venue l’idée de créer une association sur la cohabitation avec la faune sauvage? Quelles sont ses objectifs?
Maëlle Kermabon et Lucie Yrles :Au bout d’un certain temps au CRSFS, nous en avons eu assez d’être seulement des « infirmières » aux urgences animales. On a eu besoin de prévenir, plutôt que de tout le temps guérir. On a compris qu’il était important de se pencher sur le thème de la cohabitation. Après avoir cessé d’exercer comme soigneuses, nous avons réalisé notre premier chantier « écuroduc » : nous avons installé deux de ces passages à écureuils sur une route départementale de l’Hérault. Pas n’importe quelle route : celle que nous empruntions tous les jours pour nous rendre au centre de soin… A partir de là, nous avons commencé à réfléchir à des solutions qui permettraient de favoriser cette cohabitation entre l’homme et la faune sauvage. On a créé à l’été 2019 une association, « Cohabitation Sauvage, pour une nouvelle alliance Homme Animal », dite « Cohab ». Notre premier chantier a été l’installation de quatre passages à écureuils pour la métropole du grand Nancy. Ce chantier d’envergure nous a permis d’allier la préservation des écureuils roux, grâce à la restauration de continuité écologique, avec un volet de sensibilisation du grand public à la fragmentation des milieux par nos activités et son impact sur la faune sauvage.
L’objectif de Cohab est que dans un futur proche, nous ne vivions plus en parallèle de, mais avec la faune sauvage. Nous voudrions par exemple que les oiseaux cavernicoles puissent retrouver des caches pour nicher dans nos bâtis sans pour autant nous importuner ; que les hérissons puissent se déplacer sans être en permanence confrontés à des barrières ; que la faune arboricole (écureuils, martres, genettes…) puisse traverser les routes sans risquer de se faire écraser. Nous souhaitons également que le grand public apprenne à mieux connaître la faune sauvage et comprenne que ses activités ont un impact parfois irréversible sur elle.
Infonature : Comment travaillez-vous concrètement ? Quels sont vos prochains projets?
Maëlle Kermabon et Lucie Yrles : Nous avons actuellement trois chevaux de bataille. Le premier est la restauration de passages à faune arboricole et à petite faune terrestre. Pour la faune arboricole, notre tête d’affiche est l’écureuil roux. Cela se traduit pas la pose de passages aériens dans les arbres au-dessus de routes détectées comme meurtrières pour les mammifères qui se déplacent dans les arbres comme les écureuils, les lérots, les genettes, les fouines, les martres, les loirs. Créer des corridors artificiels, relier deux espaces boisés fragmentés par notre réseau routier, c’est finalement restaurer des continuités écologiques. Cette problématique ne porte pas que sur des milieux en pleine nature, elle touche aussi beaucoup le secteur urbain et périurbain, où les écureuils sont très présents dans les parcs et les jardins.
Pour la petite faune terrestre, notre ambassadeur est le hérisson. Ce dernier se voit trop souvent empêché dans ses déplacements par les nombreux grillages et murs de clôtures qui sont les marques de nos propriétés privées. Quand on ne fait pas plus de 20 cm de haut, c’est un véritable parcours du combattant pour aller chercher sa nourriture ou trouver un partenaire de reproduction ! Dans ce cas, nous intégrons des passages dans les grillages et les murs de clôture pour laisser circuler librement les hérissons et d’autres animaux comme les crapauds.
Notre deuxième domaine de travail est la restauration de zones de nidification pour les oiseaux et mammifères cavernicoles et semi cavernicoles. En effet, l’évolution de notre bâti aux parois lisses et hermétiques ne permet plus à ces animaux aimant nicher dans des cavités de trouver des espaces leur convenant. Notre idée est d’intégrer aux constructions des gîtes et des nichoirs pour eux et ainsi leur fournir un espace accueillant intégré à notre bâti. Ce ne sont pas des gîtes ou des nichoirs posés à même la façade, ils sont intégrés dans la construction. Cela permet d’éviter les écarts de température et ainsi garantir un meilleur taux de reproduction. Ces espaces sont conçus de manière à ne pas créer de nuisances, mais aussi à être installés simplement lors d’une construction ou d’une rénovation.
Enfin, nous sommes en pleine rédaction d’un manuel de cohabitation avec la faune sauvage, qui se voudra ludique.
Nous travaillons presque toujours en collaboration sur chacun de nos domaines d’activités, souvent avec des spécialistes d’un domaine complémentaire. Par exemple, pour les écuroducs, nous travaillons avec un spécialiste des arbres ; pour les passages à petite faune, avec le Groupe Naturaliste de l’Université de Montpellier ; pour le livre, avec un journaliste environnemental, etc.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Pouchain