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Trois questions à Yves Verilhac, Directeur Général de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO)

ANES : La chasse des oiseaux à la glu est une technique peu connue. En quoi consiste-t-elle et quelle réglementation la régit ?

Yves Verilhac : Il s’agit d’une technique de piégeage qui consiste à recouvrir des baguettes de colle et à les installer dans la garrigue pour attraper vivant les oiseaux qui vont se poser dessus. Ils sont ensuite utilisés comme appelants, c’est-à-dire qu’on les met dans des cages pour attirer des oiseaux sauvages et leur tirer dessus.  Ce piégeage n’est autorisé que par dérogation à la Directive européenne depuis 1989, il faut donc respecter un certain nombre de conditions, notamment n’attraper que des merles et des grives. Seuls cinq départements de la région PACA le pratiquent : les Bouches-du-Rhône, les Alpes-Maritimes, le Vaucluse, le Var et les Alpes-de-Haute-Provence. Le gros problème de cette technique est qu’elle n’est sûrement pas aussi sélective que le maintiennent les chasseurs. Je suis allé observer le piégeage de visu, et j’ai trouvé énormément de plumes de fauvettes et d’autres de gros-bec, un oiseau plutôt rare. Il y avait même une mésange bleue toute entière, morte, les pattes engluées. Les piégeurs affirment que lorsque des oiseaux protégés sont capturés, ils les détachent avec un diluant, l’Essence F, puis les relâchent dans la nature. La réalité est assez différente : à la LPO, nous avons vu des oiseaux se débattre dans des conditions de stress atroces, imprégnés de colle et avec des paquets de plumes arrachés. Parfois ils meurent sur la baguette. Même s’ils survivent à la manipulation, le diluant les tue, comme l’ont montré les Espagnols dans une étude sur la toxicité de l’Essence F. Comme il n’y a pas de police partout dans la garrigue, nous sommes certains qu’il y a un vrai trafic et une vraie destruction d’espèces protégées.

ANES : La glu pour oiseaux est proposée en vente libre. Est-ce que cela va à l’encontre de la loi ?

Yves Verilhac : Non, mais cela encourage les mauvaises pratiques. C’est un produit qui peut être vendu par n’importe qui, et acheté par n’importe qui, sans contrôle. La semaine dernière, l’enseigne Décathlon a fait un déstockage de glu, avant de retirer son message promotionnel face à la pression de la LPO. Or on sait qu’il y a une activité en France de capture des oiseaux à la glu par braconnage. C’est un peu la même hypocrisie que la vente de tabac interdite aux mineurs : ils pourront en acheter quand même. La France est un des mauvais élèves du braconnage, selon Birdlife International, avec entre 500 000 et 1 000 000 d’oiseaux protégés braconnés chaque année. Le problème avec la chasse à la glu, c’est qu’en tant qu’activité dérogatoire elle devrait être très encadrée, notamment aux sites de piégeage. Or on est loin de tous les connaître, ce qui veut dire que l’affaire n’est pas sous contrôle.

ANES : La chasse à la glu est maintenue à titre de tradition culturelle, comme par exemple la tauromachie. Pensez-vous que ce patrimoine ait une place dans la France d’aujourd’hui ?

Yves Verilhac : Non, aucune. C’est de la barbarie pure et simple. Si seulement tous les Français savaient vraiment ce qu’il se passe ! Il y a quatre activités de piégeage des oiseaux familiers autorisées ainsi à titre dérogatoire en France, qui coïncident de façon inadmissible avec des aires protégées : l’écrasement par pierre plate (la tendelle) dans le Massif Central, et plus particulièrement dans le Parc National des Cévennes ; l’étranglement par collet (la tenderie) dans le Parc naturel régional des Ardennes ; l’encagement (la matole) près du Parc naturel régional des Landes de Gascogne ; et donc l’engluement, dans le Parc National des calanques. Que les gens s’imaginent qu’on mange des brochettes de rouge-gorge dans le massif de la Sainte-Baume et de pinsons dans les Landes ! Peut-être que cela réveillerait les consciences. Sans même parler de sensibilité animale, il y a un vrai problème avec les populations d’oiseaux familiers qui déclinent. On est en train de perdre toutes ces espèces. De leur côté, les Espagnols ont réussi à faire interdire la glu. Nous, pas pour l’instant, car une décision un peu ancienne du Conseil d’Etat maintient sa légalité. La LPO a essayé, lors de la Loi Biodiversité, de faire interdire cette pratique barbare, mais cela a échoué. On va continuer le combat.

Propos recueillis
par Jean-Baptiste Pouchain