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Trois questions à Marc Giraud, porte-parole de l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS)

ANES : La région île de France, la RATP et la SNCF ont lancé une nouvelle campagne d’affichage contre le harcèlement sexuel dans les transports, mettant en scène un ours, un requin et un loup, toutes griffes et dents dehors derrière des femmes. Selon vous, la métaphore du prédateur sert-elle son objectif ?

Marc Giraud : Du point de vue de la technique de communication, ils ont réussi leur opération ! Le problème c’est que ça se base sur un déplacement de la cause. Il y a une confusion de vocabulaire : en voulant parler de harcèlement sexuel, ils utilisent le mot « prédateur », qui a un sens scientifique et naturaliste très différent. Le message en est changé. Ils font un transfert et, au lieu de défendre les femmes, attaquent les animaux.

ANES : Quels préjudices une telle campagne peut-elle porter aux animaux que sont l’ours, le loup ou le requin ?

En les choisissant comme boucs émissaires, elle pervertit leur image, et cela sans fondement scientifique. Inconsciemment, les gens risquent de faire la confusion entre le comportement déviant d’un pervers sexuel humain et le comportement naturel d’animaux carnassiers, dont la prédation est le mode de vie. En voulant s’attaquer au sexisme on se retrouve soudain à faire du spécisme. C’est d’autant plus préjudiciable que les trois espèces utilisées sont protégées ! Pour les requins, je fais l’analogie avec Les dents de la mer : un très bon film cinématographique, mais une catastrophe du point de vue de la diffusion de l’image du requin. L’auteur du livre a ensuite fait des conférences pour s’excuser car, sans le vouloir, il avait déclenché des campagnes de massacre des requins! C’est toute la portée que peut avoir une pub mal ciblée. Un traitement comme celui réservé aux prédateurs dans la nouvelle compagne ne fait qu’attiser les craintes irrationnelles, qui elles-mêmes provoquent des comportements de rejets. C’est comme ça que le loup se trouve être, depuis son retour, l’ennemi public n°1, celui à éliminer. C’est comme ça qu’à leur manière, les prédateurs deviennent eux-mêmes des victimes.

ANES : De quoi cette représentation est-elle révélatrice quant au rapport qu’entretient la France avec la nature sauvage ?

Marc Giraud : Il y a un vrai problème entre les Français et la nature. D’abord, on a une vision utilitaire de consommateurs de viande. Nous sommes des gastronomes, pas des naturalistes. Ensuite, on ne voit les animaux qu’à travers l’idée qu’on en a. Le dauphin, par exemple, est souvent vu comme un animal mignon alors qu’en fait c’est un grand prédateur. Quant au loup, on en a peur comme dans un conte de fée. C’est une vision tout à fait irrationnelle et moyenâgeuse. La campagne contre le harcèlement sexuel se base sur ces fantasmes primaires. C’est une culture de la lâcheté, alors que d’autres pays ont une culture du courage, de la dignité ; comme l’Italie, qui préfère la louve mère de Romulus et Rémus au loup carnassier du petit chaperon rouge. En France, il y a une culture de la peur, de la défiance des animaux sauvages. On vit entouré par les risques de pollution et d’accident de la route, mais comme c’est dû à l’homme, ça ne pose pas de problème. Par contre, le moindre frelon qui pique ou la moindre vipère qui mord fait la une des journaux ! En Roumanie lorsqu’un troupeau est attaqué par les loups, on dit que le berger ou le chien de défense ont mal fait leur travail. On ne se défoule pas sur le loup à la moindre occasion.

Propos recueillis
par Jean-Baptiste Pouchain