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Trois questions à Jean-Christophe Vié, Directeur du programme « Save Our Species » (SOS) de l’UICN

ANES : L’UICN recommande d’accorder le statut ‘en péril’ pour le site du Patrimoine mondial mexicain des Îles et aires protégées du Golfe de Californie, après qu’une mission ait confirmé que le vaquita – le plus petit marsouin et le plus en danger – est menacé d’extinction imminente. Pourquoi ce marsouin est-il particulièrement en danger ?

Jean-Christophe Vié : Il est une victime collatérale de la surexploitation d’une autre espèce, le totoaba, un poisson lui aussi endémique du golfe de Californie. La situation du vaquita et du totoaba illustre un phénomène dont on ne prend à mon sens pas suffisamment conscience : l’effet-domino lié à la surexploitation d’une espèce. Au départ de l’histoire, il y a un autre poisson, de la même famille que le totoaba (les sciaenidés) pêché au large de la Chine : le bahaba taipingensis. Il est très recherché en Chine pour sa vessie natatoire, considérée comme un mets de luxe et comme un remède contre toutes sortes de maladies. Il a donc été surpêché en Asie, son espèce est maintenant éteinte. Le marché chinois s’est donc tourné vers un substitut, le totoaba, dont les caractéristiques sont proches de bahaba. C’est lui aussi un gros poisson (les adultes peuvent mesurer jusqu’à 2 mètres) qu’un ne prélève que pour les quelques grammes de sa vessie natatoire ! Au Mexique, ce marché-là a été pris en main par tout un réseau de trafiquants, qui ne se pose aucune question quant à la survie de l’espèce, tant que son trafic est lucratif à court terme. Et il l’est ! Une vessie se négocie près de 15 000 $ en Chine ! Et le vaquita dans l’histoire ? Eh bien, il est victime des filets illégaux déployés dans le Golfe de Californie par les trafiquants de totoaba. Il ne reste aujourd’hui qu’une trentaine d’individus de vaquitas.

Mais on peut poursuivre l’histoire jusqu’à l’épisode suivant, qui concerne la France. Le totoaba, à son tour, est en danger critique d’extinction depuis 1996. Alors le trafic se tourne vers un autre « ersatz » : l’acoupa rouge, qui est pêché au large des côtes de Guyane. C’est maintenant à lui que les trafiquants s’attaquent pour prélever les vessies natatoires. Et sa population est aujourd’hui en déclin accéléré, au point que des mesures de protection ont été mises en place par la préfecture. Mais les trafiquants s’embarrassent assez peu de la réglementation…

ANES : Les ONG, l’UICN en particulier, peuvent-elles remédier à cette situation ?

Jean-Christophe Vié : Il ne faut pas imaginer que les ONG pourront résoudre quoi que ce soit en finançant, avec leurs petits moyens, des projets de préservation ! Face à l’enjeu des trafics, face à l’avidité des trafiquants, nos moyens sont évidemment dérisoires. Si les Etats n’imposent pas des réglementations sévères, et surtout s’ils ne se donnent pas les moyens de les faire appliquer, nos actions resteront vaines. Le cas du vaquita n’est pas un exemple isolé d’effet-domino, ou de dommage collatéral. En Afrique, les mafias de l’ivoire, lorsqu’elles abattent un éléphant pour prélever ses défenses, empoisonnent la carcasse, afin que l’afflux de vautours ne signale pas leur présence aux rangers. Outre les éléphants, les vautours sont eux aussi décimés ! Mais quand les Etats se mobilisent réellement, les effets se font sentir. Il y a quelques années personne ne parlait du trafic des écailles de pangolin. Aujourd’hui c’est devenu un sujet à l’échelle internationale. Cela ne signifie pas que l’espèce est sauvée, mais ce trafic-là va devenir plus compliqué, plus risqué. En revanche, dans certains Etats, la corruption est telle que tous les trafics prospèrent. C’est le cas du trafic de palissandre à Madagascar par exemple. Là, non seulement on ne peut pas faire grand chose, mais les naturalistes qui osent dénoncer ces trafics et la corruption qui les accompagne mettent leur vie en danger !

ANES : Pour le vaquita, c’est foutu ?

Jean-Christophe Vié : Pas forcément. Avec le WWF nous allons tenter une opération de la dernière chance. Nous allons essayer de capturer les 30 derniers individus pour les mettre à l’abri. Le succès n’est pas garanti : on ne sait rien du comportement de cet animal en captivité, on se sait pas grand chose de son comportement de reproduction. Mais c’est le seul espoir de sauver cette espèce. Avec 30 individus, ça reste possible. On a pu faire repartir à la hausse la démographie d’autres espèces à partir d’une population encore plus maigre que cela. Mais c’est le dernier espoir pour le vaquita. Cela dit, ce sera une opération très risquée, extrêmement coûteuse. Mais une fois de plus, la préservation de la nature a un temps de retard par rapport aux trafics…

Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko