Trois questions à Cédric Briand, Porte-parole de la race bovine « pie noir » au Salon international de l’agriculture 2017 à Paris, porte de Versailles.
ANES : Vous êtes l’une des vedettes du salon de l’agriculture, qui se tient à Paris du 25 février au 5 mars, et votre vache Fine en est l’égérie officielle. On la découvre dès la page d’accueil du site du salon ! Comment avez-vous été désignés, elle et vous ?
Cédric Briand : Chaque année, le salon désigne une « race à l’honneur ». A la fin du salon 2016, nous avons présenté la candidature de la pie-noir bretonne, une race mixte (lait et viande), rustique et locale. Et surtout, une vache très sobre pour son alimentation, qui peut rester 12 mois de l’année en plein air et se satisfait de milieux difficiles et de sols pauvres ou humides. La race avait failli disparaître dans les années 1970 : pas assez productive ! Nous voulions célébrer ainsi le 130 ème anniversaire du premier « herd-book », c’est-à-dire le registre généalogique de la race pie-noir. Et aussi le 40ème anniversaire du premier plan de sauvegarde d’une race bovine française : en 1976, face à la disparition quasi-inéluctable de cette race, un professeur de zootechnie à l’Institut supérieur d’agronomie de Beauvais, Pierre Quéméré, dont les grands-parents étaient éleveurs de pie-noir, a travaillé avec un chercheur de l’INRA, Jean-Jacques Colleau, pour développer un modèle mathématique qui permette de régénérer la race en évitant les problèmes de consanguinité, tellement l’effectif de départ était réduit.
Pour ces deux raisons, nous avons donc présenté la candidature de la pie-noir, et le salon a désigné « notre » race pour être à l’honneur en 2017. Cela prouve l’ouverture d’esprit des dirigeants du salon, et leur écoute des attentes sociétales !
Donc, la race a été mise à l’honneur, et la règle du jeu c’est de désigner un éleveur qui en sera le porte-parole à l’occasion du salon, avec une bête de son troupeau. L’Union Bretonne Pie-noir m’a désigné, puis son conseil d’administration est venu à ma ferme pour élire l’égérie du salon. Nous avons tous voté, et Fine s’est imposée à l’unanimité. A cause de sa prestance, de sa stature, de son port de tête. De sa « classe », quoi… C’est une bête qui a un charisme naturel. Au sein de mon troupeau, c’est une dominante bienveillante. Elle n’est jamais agressive, mais les autres vaches s’écartent sur son passage !
ANES : Le choix d’une race rustique s’accompagne d’une production en bio…
Cédric Briand : Evidemment ! Si nous sommes attachés à la biodiversité domestique, comment pourrions-nous nous désintéresser de la biodiversité au sens large ? Si je veux que mes pie-noir produisent un fromage de qualité, je dois m’attacher à la biodiversité des prairies, et aussi à celle des haies ! Les interactions haies-prairies sont essentielles dans le processus écologique, et au final dans la qualité de ce que mes vaches mangeront, dans la qualité de leur flore microbienne, et en bout de chaine dans la qualité de mes produits. J’ai fait résolument le choix d’une agriculture écologiquement vertueuse. Mes vaches sont dehors 10 mois sur 12, les deux mois restants elles mangent seulement du foin. Chez moi, pas d’ensilage. Cet élevage à l’herbe limite les émissions de méthane et favorise l’absorption de CO2. Sur les 60 ha de mon exploitation, 5 ha sont consacrés à des variétés céréalières dont le blé de Redon (autre espèce rustique) qui servent de complément alimentaire pendant les deux mois d’hiver. C’est une question de cohérence globale, qui va jusqu’au choix d’une distribution en circuit court : 45 % de ma production est vendue à la ferme, deux jours par semaine, 45 % aussi est vendue en ville, par des AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), et les 10 % restants à des restaurants. Et qu’on ne vienne pas me dire que mes clients sont des bobos, et que le bio est réservé aux riches. Les prix sont les mêmes à la ferme et via les AMAP. 1 € le litre de lait, ; 4,50 € le kilo de fromage blanc… Ah bien sûr ce n’est pas le même prix que le fromage blanc industriel, mais ce n’est pas non plus le même produit ! Oui, on peut nourrir la société avec une production bio, cela passe par des choix des producteurs, mais aussi des consommateurs : moins de protéines animales, des choix plus qualitatifs. A budget équivalent on peut se nourrir en bio !
ANES : Le chiffre d’affaire du bio a progressé de 20 % en 2016, et certains s’inquiètent de le voir perdre don âme, de voir les labels devenir moins exigeants…
Cédric Briand : Et si on arrêtait de voir systématiquement les choses de manière pessimiste ? De voir le loup partout ? Si on part du principe que ça va mal se passer, alors il est sûr que ça se passera mal ! Il y a une forte demande pour le bio ? Tant mieux ! Il faudra peut-être des étapes intermédiaires, des produits laitiers pas forcément « bio » intégralement, mais issus de bêtes élevées à l’herbe. Prenez l’exemple des producteurs de Comté, dans le Jura. Ils ne sont pas en bio, mais personne ne remet en cause leur cohérence environnementale ! Pour moi une démocratie doit apporter aux citoyens trois garanties fondamentales : se soigner, s’éduquer, s’alimenter. Dans ce triptyque, mon rayon c’est l’alimentation. Je produis de l’alimentation, pas un minerai, une matière première pour une industrie. Si d’autres préfèrent produire du PIB, c’est un autre choix ! Et pour moi l’intérêt de ce salon, et du fait que nous soyons mis en avant, c’est de pouvoir dire à des porteurs de projets, à des jeunes qui veulent s’installer : vous aussi, vous avez le choix ! Si vous partagez nos valeurs, venez !
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko