Trois questions à Samuel Jolivet, Directeur de l’Office pour les insectes et leur environnement (OPIE)
ANES : La « Maison des insectes » sera inaugurée ce dimanche dans le Parc du peuple de l’herbe à Carrières-sous-Poissy. De quoi s’agit-il ?
Samuel Jolivet : c’est un projet porté par le Conseil départemental des Yvelines et la Communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise qui consiste à valoriser un espace en friche pour en faire le plus grand site naturel du département, avec un parc à thèmes centré sur les insectes. Le site comprendra toutes sortes de milieux, des mares, des bosquets, des prairies sèches et humides, et deux étangs issus des carrières qui étaient exploitées ici jadis. De même une berge de la Seine ont été réaménagées : ce ne sont plus des palplanches qui canalisent le fleuve, mais des pentes douces et des noues qui restituent l’état initial de la berge. Pour notre part, l’Opie présentera sur ce site la « maison des insectes », et toutes ses actions pédagogiques. À terme l’ensemble de l’équipe de l’Office –une vingtaine de personnes, principalement des scientifiques tournés vers l’étude et la conservation – devrait s’installer dans un bâtiment proche. Le Parc du peuple de l’herbe et sa Maison des insectes seront inaugurés samedi avec un programme aussi festif qu’accueillant ! La Maison sera pleinement opérationnelle à la rentrée scolaire : ouverte les mercredis après-midis et samedis pour le grand public (entrée plein tarif 7 € ; 5 € en tarif réduit et 4 € pour les enfants), le reste du temps pour les scolaires.
ANES : Et pour ce prix, que pourra-t-on y découvrir ?
Samuel Jolivet : une expo flambant neuve, avec une scénographie très moderne et ludique, dont l’objectif est évidemment de faire changer le regard du grand public sur les insectes. Non, ce ne sont pas des sales bêtes moches, grouillantes, qui font peur et qui piquent ! Pour cela nous nous appuyons sur le pouvoir d’attraction des insectes vivants. L’expo présente une douzaine de vivariums et une serre à papillons. Je précise qu’il s’agît d’insectes issus de notre service d’élevage, principalement des espèces exotiques, choisis de telle sorte qu’on puisse les observer toute l’année, y compris les papillons dans leur serre ! Nous voulons montrer que les insectes sont passionnants ! Expliquer leur rôle irremplaçable dans la pollinisation, la décomposition des matières organiques, la limitation des ravageurs. Si on arrive à faire « disparaitre « l’inévitable question « à quoi servent-ils » ?, le pari sera gagné !Faire comprendre que non, les insectes ne sont pas « méchants », et que s’il existe une espèce capable de méchanceté, elle est plutôt bipède et officiellement douée de raison…
ANES : Une entreprise bordelaise annonce la production industrielle de « farines d’insectes » pour la nourriture du bétail, à partir de « mouches noires soldats » et de « vers de farine ». Cela vous inquiète ?
Samuel Jolivet : c’est un sujet de débats au sein de notre conseil d’administration… Il s’agît d’une pratique d’élevage à l’échelle industrielle, en soi cela n’a rien de choquant, mais est-on sûr que toutes les précautions seront prises ? Pourra-t-on prévenir toutes les épidémies au sein de ces élevages ? Si des individus s’échappent, ce qui se produira forcément, cela pourra-t-il donner naissance à une espèce « invasive » ? Et quelles conséquences pourront avoir l’hybridation de ces insectes, au patrimoine génétique fortement appauvri, avec les insectes sauvages dans le cas d’espèces présentes en France ? Nous-mêmes dans nos propres élevages, qui n’ont rien d’industriel, nous sommes extrêmement rigoureux sur ce point : ces insectes ne sont plus adaptés à la vie sauvage chez nous, ils n’ont aucune chance de s’y acclimater. C’est souvent un crève-cœur pour les enseignants avec lesquels nous travaillons d’expliquer ça à leurs élèves. Mais même un instituteur qui va ramasser des chenilles de paon du jour sur des orties et qui les fait éclore puis se reproduire doit savoir qu’au bout de deux cycles le risque de pollution génétique n’est pas nul ! Les caractères qui auraient été éliminés dans un processus naturel ne l’auront pas été. Alors imaginez cela à l’échelle industrielle… Nous restons donc extrêmement vigilants devant ces pratiques.
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko