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Trois questions à François Veillerette, président du Mouvement pour les droits et le respect des générations futures

ANES – La Commission européenne décidera la semaine prochaine, après un vote des Etats-membres, de renouveler ou non l’homologation pour 10 ans du glyphosate. Serait-il d’interdire brutalement cette molécule ?

François Veillerette : La faire disparaître du jour au lendemain, non bien sûr. Mais en application des règlements communautaires, une interdiction décidée la semaine prochaine ne prendrait effet qu’à l’issue de deux délais : un premier délai d’un an, et un autre de 18 mois. En d’autres termes, il faudrait presque trois ans pour que l’interdiction du glyphosate entre dans les faits, ce qui serait compatible avec l’engagement de Nicolas Hulot de le faire disparaître avant la fin du quinquennat. Pour les agriculteurs, la fin du recours au glyphosate présenterait deux difficultés, et faudra évidemment les accompagner pour surmonter ces deux obstacles. Le premier concerne la formation. L’Etat et les Régions devront investir pour former ces professionnels à d’autres méthodes, qui existent et ont fait leurs preuves. La rotation des cultures, la lutte mécanique contre les végétaux concurrents, tout cela fonctionne mais oblige à travailler voire à penser autrement. L’autre difficulté, ce sont les équipements pour mettre en œuvre ces techniques : il faudra favoriser l’acquisition des outils nécessaires via des Coopératives d’utilisation du matériel agricole (CUMA), et aider au financement de ces investissements pour les exploitations dont la trésorerie est tendue.

ANES – Les agriculteurs sont es premières victimes des effets cancérigènes du glyphosate. Pourquoi ne pas compter sur eux pour en réduire spontanément l’usage ?

François Veillerette : Parce que l’expérience prouve que cela ne marche pas ! Sans contrainte réglementaire, rien n’est fait. Deux exemples très concrets le prouvent : le plan Ecophyto qui est en place depuis 2008 devait conduire à une réduction de 50 % de l’usage des pesticides dans l’agriculture, sur une base volontaire. Dix ans plus tard, on en est très loin : l’usage des pesticides ne cesse d’augmenter ! Autre constat, concernant directement le glyphosate : il y a 18 mois, la Commission européenne a prorogé provisoirement l’homologation du produit, en attendant que l’Agence européenne de la chimie (ECHA) rende son expertise. Ce délai de 18 mois aurait pu être mis à profit pour commencer à réduire le recours au glyphosate. Cela n’a pas été le cas du tout. La conclusion, c’est que si la Commission ré-homologuait la semaine prochaine ce produit pour trois ou cinq ans sans annoncer de terme pour l’entrée en vigueur d’une interdiction, ce serait trois ou cinq années de perdues ! A l’issue de ce délai nous en serions au même point qu’aujourd’hui. La résistance du monde agricole au changement de pratique est forte, parce que le glyphosate est une solution simple et peu coûteuse pour gérer les herbes concurrentes. Les 8 500 tonnes consommées chaque année en France représentent 12 à 13 % de l’ensemble des pesticides utilisés : il y a une forme de dépendance au glyphosate dans l’agriculture, c’est un fait. C’est la raison pour laquelle il faut prononcer aujourd’hui une interdiction claire assortie d’un délai, qui est de toute façon prévu par les règlements, pour sa mise en œuvre.

ANES – Tout le monde ne partage pas l’idée que le glyphosate est cancérigène. L’Agence européenne de la chimie (ECHA) et celle des aliments (EFSA) affirment le contraire…

François Veillerette : Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a clairement affirmé le caractère de « cancérigène probable » du glyphosate. Pour parvenir à cette conclusion, il a compilé plus de 2000 études scientifiques, parmi lesquelles un grand nombre d’études universitaires indépendantes. De son côté l’ECHA a sous-traité le travail d’études à l’agence allemande de la chimie, qui a systématiquement écarté les études universitaires. Que restait-il alors ? Les travaux fournis par les industriels de la chimie eux-mêmes ! Et il a été établi que l’agence allemande a multiplié dans son rapport les copier-coller des études fournies par les producteurs de substances contenant du glyphosate ! Cette agence utilise pour noter les études qu’elle compile un système de cotation appelé « échelle de Klimmisch », du nom du chercheur qui l’a créée. Or ce M. Klimmisch était un toxicologue qui travaillait pour le géant de la chimie BASF : son but était de créer un instrument pertinent pour les labos industriels, ce qui l’a conduit à écarter quasi-systématiquement les études universitaires. Constater aujourd’hui que la Commission européenne s’apprête à fonder ses décisions sur des rapports élaborés de cette façon relève du scandale ! A quoi bon financer le travail des équipes universitaires, des chercheurs indépendants, si leurs résultats sont systématiquement écartés de la décision publique ?

Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko