🔻 Le géant des mers assiégé par une armée de navires en Patagonie du nord

1994
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Les baleines bleues qui se nourrissent au large de la côte nord de la Patagonie chilienne doivent éviter des centaines de navires chaque jour, indique une étude publiée dans la revue Scientific Report.

Ciselée de baies, d’archipels, de canaux et de vallées glaciaires, le nord de la Patagonie chilienne accueille en ses mers des baleines bleues, classées « menacées » sur la Liste rouge de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature). Les eaux y sont particulièrement riches en nutriments et abritent de nombreux bassins de phytoplancton, ces minuscules algues qui sont à la base de toute la chaîne alimentaire océanique. Cet endroit constitue ainsi l’aire d’alimentation la plus importante pour la baleine bleue du Pacifique Sud-Est. Ce vaste écosystème est également le lieu de la deuxième plus grande industrie d’élevage de saumon du monde, après la Norvège. Les navires se bousculent pour desservir ces élevages, perturbant les mouvements des baleines. Une étude publiée dans la revue Scientific Reports montre l’impact du trafic maritime sur ce mammifère marin. Pour la réaliser, des chercheurs ont installé des traceurs satellites sur 14 baleines afin d’observer leurs mouvements. Les informations recueillies par satellite à partir des émetteurs ont été combinées avec les données recueillies lors d’expéditions maritimes au cours desquelles ils ont compté les baleines. Les chercheurs ont ensuite recensé les itinéraires des navires dans la région. En superposant les mouvements des baleines et des navires, ils ont constaté que les baleines se nourrissent dans des espaces soumis à un trafic maritime intense.

Une vidéo élaborée par les scientifiques montre une semaine dans la vie d’une baleine bleue (Balaenoptera musculus) qui tente de se nourrir en zigzagant au milieu d’un trafic intense de centaines de navires transitant vers l’océan Pacifique. Selon les auteurs, cette situation pourrait mettre en péril le rétablissement de cette population unique de baleines bleues, qui ne compte que quelques centaines d’individus et est classée comme menacée sur la liste rouge de l’UICN. Le nombre de navires actifs par jour dans cette région se situait entre 602 et 729 pour l’aquaculture, suivie par la pêche artisanale avec 37 à 76 embarcations. Les navires de transport se situaient entre 6 et 57, et les navires de pêche industrielle entre 1 et 13 par jour. Selon l’étude, si tous les bateaux sont très susceptibles d’entrer en contact avec une baleine dans cette zone, il est plus probable que la flotte d’aquaculture représente le principal moteur des interactions négatives entre les bateaux et les baleines en raison de son activité plus importante.

Ces interactions incessantes entre navires et baleines représentent un danger pour la survie de l’espèce. Les différents impacts vont des collisions qui peuvent entraîner la mort des baleines, à la pollution sonore qui les empêche de se nourrir correctement. Rodrigo Hucke, président du Centro Ballena Azul et co-auteur de l’étude a déclaré dans un entretien avec site d’information Mongabay qu’« il existe des preuves que divers navires ont percuté des baleines bleues et les ont tuées », ajoutant toutefois qu’il est difficile d’estimer le nombre d’accidents résultant de collisions. Tous les accidents ne sont pas signalés ; les baleines qui meurent à la suite de collisions peuvent souvent se perdre en mer, couler ou ne mourir que plusieurs jours plus tard. La pollution sonore perturbe également beaucoup les activités des baleines. Les animaux marins utilisent le son pour interpréter et explorer leur l’environnement ainsi que pour interagir entre espèces. Par conséquent, le bruit des bateaux peut interférer avec ces signaux, ce qui interrompt les déplacements, la recherche de nourriture, la socialisation, la communication, le repos et bien d’autres comportements des mammifères marins, indique l’étude.