L’ADN environnemental, qui utilise les traces d’ADN présentes dans l’environnement pour évaluer l’état de santé des écosystèmes, est en plein essor. Quels sont ses atouts et ses limites?
Depuis une dizaine d’années, une nouvelle méthode d’évaluation de l’état de santé des écosystèmes fait son apparition: l’ADN environnemental (ADNe). Traditionnellement, cette évaluation s’opère par l’identification d’une espèce à laquelle appartient un organisme vivant prélevé dans le milieu, à partir de l’étude de sa forme et de sa structure. Cela nécessite des méthodes coûteuses et à la portée limitée, telle que la pêche électrique en rivière ou les repérages diurnes et nocturnes. L’ADNe, elle, part du principe que tout être vivant laisse, derrière lui, des traces d’ADN exploitables. Ainsi, à partir d’un simple prélèvement d’eau, il est aujourd’hui possible d’isoler en laboratoire des traces d’ADN et de révéler l’ensemble de la biodiversité d’un site étudié. Les petits fragments d’ADN extraits sont appelés « barcodes » et sont ensuite amplifiés puis séquencés. Pour aboutir à l’identification des espèces, le résultat de ce séquençage est ensuite comparé à une base de données de références de barcodes, chaque espèce ayant son propre « code barre génétique ». [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]
Le 23 janvier dernier, une conférence organisée par la Zone Atelier Bassin du Rhône (ZABR), un dispositif scientifique d’observation rassemblant 24 établissements de recherche, a fait la part belle au débat sur l’ADNe. Y ont été présentés les résultats d’une étude cherchant à comparer la fiabilité de cette méthode à celle des méthodes traditionnelles telle que la pêche électrique. La Compagnie Nationale du Rhône a mené en 2016 une vaste étude sur le Rhône, du Léman à la Méditerranée, sur une centaines de sites: sur l’ensemble des sites investigués, 83% à 100% des espèces de poissons identifiées via la pêche électrique l’ont également été par l’analyse de l’ADN environnemental, dont deux espèces rares. L’ADNe a été jugée particulièrement utile pour les sites compliqués, par exemple lorsque le courant du cours d’eau est rapide. Le rapport « coût (financier et humain) / efficacité » s’avère par ailleurs très bon, et la méthode, non-invasive.
Les méthodes basées sur l’ADN environnemental permettent de détecter des espèces rares libérant très peu d’ADN dans le milieu, comme par exemple l’Apron du Rhône, endémique du bassin du Rhône. Cette espèce a fait l’objet d’un travail de collaboration entre l’Office Français de la Biodiversité (OFB) et SpyGen, une start-up spécialisée dans le domaine de l’analyse de l’ADN environnemental. Cette étude menée en 2016 sur 34 sites situés dans 8 cours d’eau du bassin du Rhône a permis de mettre en évidence la présence d’une population d’Apron sur le Verdon, là où il n’avait encore jamais été inventorié par le passé. L’OFB et SpyGen, se sont également intéressés à une espèce exotique envahissante, le Gobie à taches noires. Les analyses font craindre qu’il colonise progressivement l’ensemble du bassin de la Durance, car là où aucune trace d’ADN n’était détectée en septembre 2018, de nouveaux prélèvements réalisés au même endroit l’année suivante ont révélé la présence du poisson. Si ces deux exemples mis en avant à la conférence de la ZABR montrent la plus-value de l’ADNe, ses limites ont également été discutées. Tout d’abord, la durée de persistance de l’ADN dans l’environnement varie selon l’espèce et selon les conditions du milieu.
Par aillerus la détermination d’une espèce via son code-barre génétique n’est pas toujours aisée. Il peut y avoir des différences génétiques importantes entre individus d’une même espèce, parfois aussi importantes qu’entre individus d’espèces différentes. En outre, si l’on prend l’exemple des inventaires de poissons, l’approche par ADN ne donne aucune information sur les caractéristiques des individus (taille, âge, stade de développement, etc.) ni, dans l’état des recherches actuelles, sur le nombre de poissons présents (taille de la population). La conférence de la ZABR en a donc conclu que l’ADNe devait être complémentaire des méthodes traditionnelles, tout en pointant la nécessité de la mise en œuvre d’un processus de standardisation des méthodes. En effet, du fait de l’absence de normes, les pratiques en terme de prélèvement et d’analyse de l’ADN peuvent être très différentes d’un laboratoire à un autre. Ainsi, il est actuellement impossible d’établir des comparaisons précises de la biodiversité de différents cours d’eau ou lacs, si les analyses n’ont pas été effectuées par le même laboratoire.
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