Les gorilles aiment retrouver des vieux potes, en-dehors de leur famille. Les chimpanzés se font une toile entre copains. Et les mères orangs-outans développent une communication non-verbale avec leurs petits. Que va-t-il nous rester ?
Comme le disait Aristote, l’homme est une espèce sociale. Des découvertes récentes montrent que notre cerveau comporte des neurones miroirs qui nous permettent spontanément d’entrer en empathie avec d’autres. Des découvertes encore plus récentes semblent montrer que pour les gorilles, c’est pareil ! En s’installant près de la clairière de Mbeli Bai dans le parc national de Nouabalé-Ndoki, en République du Congo, Robin Morrison, zoologiste à l’université de Cambridge (Royaume-Uni) et ses collègues ont acquis une vision intime des liens sociaux des gorilles de 2010 à 2015. Ils ont ajouté à leurs observations des données similaires recueillies par d’autres chercheurs en 2001-2002 dans le parc national d’Odzala-Kokoua, en République du Congo. En analysant la fréquence et la durée des interactions sociales entre les centaines de gorilles qui se sont rassemblés sur chaque site, les scientifiques ont découvert une hiérarchie à plusieurs niveaux. Les unités familiales s’imbriquaient à l’intérieur d’unités sociales plus grandes selon un modèle remarquablement semblable à celui des sociétés humaines modernes. Sur les deux sites, les gorilles ont passé du temps non seulement avec leur famille immédiate, mais aussi avec une moyenne de 13 membres de la famille élargie – par exemple, cousins, tantes et grands-parents. Plus surprenant encore, chaque singe a interagi avec 39 autres gorilles auxquels il n’était pas apparenté. Parfois, les jeunes hommes se réunissaient en « groupes de célibataires exclusivement masculins », a dit M. Morrison dans un communiqué de presse, comparant l’ensemble des rassemblements à la dynamique d’un village. L’analyse de son équipe a révélé que plus de 80% des associations étroites se situaient entre des dos argentés plus éloignés, ou même non apparentés, comme on appelle les gorilles mâles dominants. Les gorilles « avaient clairement des préférences, dit-elle. Si nous pensons à ces associations d’un point de vue humain, le temps passé en compagnie de l’autre pourrait être analogue à une vieille amitié », a-t-elle ajouté. La capacité de nouer des amitiés et de coopérer avec des individus sans lien de parenté est considérée comme faisant partie intégrante de l’évolution du « cerveau social » de l’être humain.
Une autre expérience montre qu’aller au cinéma avec un copain rapproche… les chimpanzés. Les chercheurs ont analysé 36 duos de chimpanzés dans le sanctuaire des chimpanzés de l’île de Ngamba en Ouganda. Ils ont conduit les singes – deux à la fois – dans deux cages adjacentes, avec une porte fermée entre elles. Ils leur ont ensuite projeté plusieurs vidéos d’une minute montrant des bébés chimpanzés se balançant sur des branches d’arbre. Dans un premier temps, les singes ont vu un écran placé à l’extérieur de leur cage. Par la suite, l’équipe a ajouté un écran et mis une barrière en plastique entre eux, empêchant les singes de regarder la même vidéo ensemble. Une caméra de suivi oculaire a été utilisée pour surveiller ce que les singes regardaient pendant la lecture des vidéos. Une fois les projections terminées, les chercheurs ont ouvert la porte séparant les cages des chimpanzés. Les singes ont passé environ sept secondes de plus les uns avec les autres après avoir regardé les vidéos ensemble que lorsqu’ils les ont regardées séparément. Ils ne se sont mutuellement toilettés que lorsqu’ils avaient regardé la vidéo ensemble. Dans une autre expérience, les chercheurs ont jumelé des singes avec un humain. Ils ont découvert que les singes étaient plus motivés à s’approcher de l’humain, qui était assis de l’autre côté de la cage, après avoir regardé la vidéo avec eux – les approchant 12 secondes plus vite, en moyenne – que lorsque les deux espèces regardaient la vidéo séparément.
Quant aux mères orangs-outans, elles ont développé une méthode de communication non-verbale pour échanger avec leurs petits : quand il est temps de décamper, elles se grattent. « Nous avons constaté que les mères orangs-outans se grattaient ouvertement pour dire à leurs enfants qu’il est temps de partir »,explique à l’AFP Marlen Fröhlich de l’université de Zurich en Suisse, coauteur de l’étude publiée mercredi dans Biology Letters (Royal Society). Selon la chercheuse, ces grattements « exagérés » ne risquent pas d’être confondus avec ceux provoqués par une simple démangeaison. « Le bruit est assez ostentatoire, rythmé et rêche (le poil des orangs-outans est très long et leur peau très dure). Nous avons débusqué des individus dans la forêt simplement en entendant ces puissants grattements au-dessus de nos têtes »,raconte la scientifique. Pour arriver à ces conclusions, les chercheurs ont observé entre septembre 2013 et février 2014, dix-sept orangs-outans de Sumatra (quatre mères et leurs sept petits, trois mâles et trois jeunes femelles) dans le parc national du Gunung Leuser, situé dans le nord de l’île indonésienne. La primatologue britannique Jane Goodall avait déjà décrit un tel comportement chez une femelle chimpanzé en 1986: « avant de sauter d’un arbre, (elle) s’arrête souvent au niveau d’une fourchette basse et se gratte en levant les yeux vers son bébé. C’est un signal, le petit se précipite généralement vers sa mère, prêt à descendre ». « On sait encore très peu de choses sur la communication mère-petit chez les orangs-outans », explique Marlen Fröhlich. Passant la majeure partie de leur temps dans les arbres, ces primates sont difficiles à observer. Mais les vocalisations sont rares car elles peuvent attirer des ennuis de la part de mâles cherchant des accouplements forcés ou de prédateurs. Les orangs-outans figurent sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en tant qu’espèce en danger critique d’extinction. En vingt ans, les populations d’orangs-outans ont perdu 80% de leur territoire et se sont réduites de moitié.