Plaie pour les Antilles, la sargasse est une aubaine pour d’autres (2 min 30)

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Concevoir des objets plastiques, de l’engrais et même de la bière à base de sargasses, des algues brunes toxiques, « n’a rien de compliqué », assurent industriels et scientifiques.

Plaie pour les Antilles, les sargasses, ces algues nauséabondes et toxiques peuvent être une aubaine à condition d’anticiper leur arrivée. « Les sargasses passent leur vie à la surface de l’eau et sont à la merci des courants. Un moment donné elles échouent parce qu’elles ont rencontré une terre sur leur passage», explique Thierry Thibaut, phycologue (spécialiste des algues) et maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille. Depuis février, ces algues arrivent par dizaine de milliers de tonnes sur les côtes de Guadeloupe, Martinique, Saint-Martin, et même de Guyane. Elles s’amoncellent sur les rivages, bloquent parfois l’accès des bateaux, mais surtout dégagent, en séchant, de l’hydrogène sulfuré et de l’ammoniac, qui peuvent provoquer maux de tête, nausées et vomissements. En prévention, des établissements scolaires ont été fermés en mai en Guadeloupe. Face à la grogne, un « plan sargasses » avec une enveloppe de 10 millions d’euros a été débloquée par l’État. « C’est compliqué aux Antilles mais pas ailleurs. Il ne faut pas paniquer à chaque fois que quelques sargasses arrivent, il faut réagir par opportunité », répond Thierry Thibaut, responsable de l’Expédition Sargasse Caraïbes. « Je suis allé au Texas, soumis au même phénomène; les Américains anticipent les échouages», un à deux mois à l’avance à partir des modèles de dispersion et des satellites. Ces derniers, « pragmatiques», se servent de leur tas de sargasses qu’ils recouvrent de sable et de plantes terrestres pour réaliser des barrières anti-érosion sur les côtes texanes. « D’autres en font de la bière ‘sargassum beer’», précise le chercheur. A Marie-Galante en Guadeloupe, certains agriculteurs commencent à l’utiliser dans leur champ comme compost.

En Bretagne, la start-up Algopack s’est spécialisée dans le plastique à partir de ces algues brunes. Elle réalise des dalles, des cadres de lunettes, des verres, des jetons de caddies, des urnes funéraires… L’entreprise basée à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) a développé pour des éleveurs « des petits palets d’algues pour les cochons avec lesquels ils peuvent passer leur nerf ». « Comme ils sont dans des espaces assez confinés, ils développent une certaine agressivité, c’est pour leur bien-être», commente le président d’Algopack David Coti. Au départ du projet, le chef d’entreprise avait envisagé d’utiliser les algues vertes, fléau en Bretagne, « des algues bretonnes, mais trop coûteuses». Contrairement à l’algue verte, l’algue brune, contient plus de fibres et moins d’eau, autour de 80% contre 98%. Pour un même produit, la quantité d’algues à traiter est inférieure. La clientèle d’Algopack: « des entreprises du CAC 40 qui ont la volonté de réduire leur bilan carbone, de diminuer leur consommation de plastique pétrolier», analyse M. Coti. Selon le PDG, «le produit plaît beaucoup aux entreprises mais il faut qu’on résolve l’équation du prix et la production de gros volumes». Outre le coût qui reste élevé par rapport aux produits issus de la pétrochimie, la difficulté réside dans l’installation d’un point de collecte des sargasses. «On peut prévoir sur quelques mois mais selon les années, les lieux d’échouage sont changeants. En ce moment, il y en a en Guadeloupe mais il peut ne plus en avoir pendant les trois prochaines années et en avoir à la Barbade », explique Xavier Le Métayer, chargé de la production à Algopack. « La collecte est totalement aléatoire », confirme Thierry Thibaut, membre de l’Institut méditerranéen d’océanologie. « Les sargasses constituent un écosystème extrêmement important puisque ça sert de garderie pour beaucoup de poissons. Si on développe une industrie là-dessus et qu’il n’y en a pas assez qui s’échouent et qu’on commence à aller au large pour les détruire, là cela va devenir un problème», met en garde le chercheur.