Fustigeant les dégâts infligés à leur patrimoine naturel et à leur société, des Kanak de Nouvelle-Calédonie, notamment la jeunesse, se battent contre l’exploitation du nickel à Kouaoua.
« La rivière, la forêt, la terre ce sont nos garde-mangers. Y en a marre des pollutions du nickel», cingle Steeve, un jeune kanak qui depuis le 6 août participe au blocage d’une importante mine de nickel en Nouvelle-Calédonie. Deux carcasses de voitures calcinées barrent une route poussiéreuse. A quelques dizaines de mètres, un campement de bric et de broc a été érigé par une cinquantaine de jeunes Kanak de 17 à 40 ans, qui se relaient afin d’interdire l’accès aux mines de la Société Le Nickel (SLN), filiale d’Eramet, dans la commune de Kouaoua (côte est). A quelques semaines du référendum sur l’indépendance le 4 novembre, les drapeaux kanak fleurissent entre les bâches et les marmites en fonte. Habitant de Méa, une tribu kanak à proximité des mines qui mettent la montagne à nu et encrassent les rivières, Steeve et ses camarades affirment « être déterminés », espérant que leur combat « servira la jeunesse de Kanaky ». Dreadlocks et tee-shirt floqué « Harlem », Hollando, porte-parole du mouvement, explique que le coup de sang s’est produit lorsque des engins de la SLN ont débuté les travaux pour ouvrir de nouvelles mines. « Ils ont commencé à couper des chêne-gomme, des arbres endémiques à la valeur inestimable (…). En plus, ces forêts sont taboues, même nous, on n’y est jamais rentrés», enrage ce quadragénaire. Il dit ne pas être contre la SLN, mais il « ne veut pas de cette extension minière au-dessus de nos têtes». Opposés au « tout nickel» qui caractérise l’économie du Caillou, ces jeunes disent vouloir « cultiver la terre plutôt que de la détruire». « On a des projets de tourisme ou d’agriculture. Tout le monde n’a pas envie de s’asseoir dans un camion et de rouler sur les mines», lâche Marie-Johana, titulaire d’un bac comptabilité. Si la SLN, opérateur historique du nickel calédonien et premier employeur privé de l’archipel – 400 emplois directs et induits à Kouaoua -, est dans leur collimateur, leurs chefs coutumiers le sont tout autant. « Les vieux, nos pères, nos tontons, n’ont pas peur de nous, ils ont peur de la vérité! Ils ne nous ont pas informés. On leur en veut grave», lance, amer, un jeune alors que fusent les mots « corruption» et « dessous de table». Les contestataires font allusion à l’accord que les coutumiers du district kanak local ont conclu avec l’industriel en 2013, au terme de nombreuses réunions, pour l’ouverture des nouvelles mines. Une série de mesures de compensation écologique et d’évitement des zones sensibles avaient été arrêtées. « La SLN n’avait jamais vu ces jeunes aux réunions», réplique un acteur du dossier, pour qui « ce conflit revèle la perte d’autorité des chefs coutumiers et la déstructuration, par endroits, de l’organisation sociétale traditionnelle». Pour l’entreprise, cette crise est « catastrophique» alors que depuis six ans, elle accumule les pertes et lutte « pour sa survie» dans un marché que la Chine, grosse importatrice de métaux, mais également pays producteur à bas coûts, a totalement bouleversé. Le nickel fournit 11% de l’emploi privé (6.800 personnes) en Nouvelle-Calédonie, et environ le double si on inclut les emplois indirects et induits. La SLN a fermé Kouaoua le 14 août, estimant « ne plus être en mesure d’assurer ni la sécurité de son personnel, ni celle de ses installations». Depuis avril, le convoyeur qui descend le minerai jusqu’au bord de mer à Kouaoua a été la cible de dix incendies criminels. Le manque à gagner généré par ce bras de fer s’élèverait selon le quotidien Les Nouvelles Calédoniennes à quelque 11 millions d’euros, et l’objectif de production pour 2018 de 57.000 tonnes de ferronickel (alliage de fer et de nickel) semble enterré. Pour couronner le tout, la province nord, gérée par les indépendantistes, a suspendu fin août tous les travaux destinés à ouvrir les nouveaux gisements de Kouaoua, stigmatisant « l’incapacité de la SLN à composer avec les populations ». Une médiation de l’Etat est en cours pour tenter de désamorcer le conflit, à l’orée d’un référendum sur l’indépendance qui pourrait cristalliser les tensions.