Lire l’ADN des échantillons de coraux rapportés de l’expédition Tara permettra d’analyser leur réaction face au changement climatique, et de comprendre pourquoi certains survivent mieux que d’autres.
Bien loin des atolls de l’océan Pacifique, des milliers de morceaux de coraux débarquent au genoscope, la plateforme française de séquençage installée près de Paris, où les chercheurs vont décrypter à très grande échelle l’ADN de ces êtres « mi-animaux mi-végétaux » si menacés. Des sachets, des boîtes, des tubes, des pipettes: tous les 2 ou 3 mois, des millions d’échantillons prélevés depuis maintenant 18 mois par l’expédition Tara sur des récifs coralliens du Pacifique sont envoyés à Evry dans ce centre dont le rez-de-chaussée prend des allures de gare de triage. « 309 colonie 28 », « 308 colonie 27 »… Chaque échantillon de corail, de plancton, d’algues ou de poissons arrive avec son code-barres et fait son entrée dans ce qui deviendra la plus grande base de données génétiques sur les récifs coralliens. Objectif: découvrir les organismes qui les composent, ceux qui les entourent, les interactions entre les coraux, ainsi que la façon dont ils réagissent au changement climatique: « Lire l’ADN des coraux va nous permettre de comprendre comment ils fonctionnent et comprendre pourquoi certains vont survivre à de fortes températures et d’autres non », ajoute Quentin Carradec, bio informaticien. Les scientifiques s’alarment d’un blanchissement massif des coraux sur l’ensemble du Pacifique. Quelque 20% des récifs sont déjà détruits, 15% risquent de l’être d’ici à une dizaine d’années et pas moins de 20% sont menacés d’ici à 40 ans. Savoir comment les coraux et leur hôtes réagissent « génétiquement » aux variations environnementales pourra permettre de « les aider à mieux résister dans le futur », explique Romain Troublé, directeur de la Fondation Tara Expéditions. Mais percer les mystères de l’ADN des coraux nécessite un minutieux travail de laboratoire: il faut d’abord extraire, préparer et séquencer l’ADN de pas moins de 3.000 à 10.000 échantillons. Un élément non négligeable permet aujourd’hui d’envisager une telle analyse à grand échelle de ces écosystèmes complexes: en 20 ans, le coût du séquençage a été divisé par 100.000.
Les échantillons doivent d’abord passer entre les bras d’un gros « shaker » pour être broyés. « Il faut casser les cellules pour libérer l’ADN », explique Julie Poulain, biologiste qui travaille également parfois à bord de la goélette Tara. Ils ont également droit à des séances de purification dans des bains et des colonnes de centrifugation. Puis une succession de robots les fragmentent et les dosent. Le tout rythmé par de multiples contrôles qualité. La star du processus entre ensuite en scène: le séquenceur à haut débit, une machine ultra perfectionnée capable de lire l’ADN – le « plan détaillé » du mode de développement et de fonctionnement des organismes – et de faire l’inventaire des dizaines de milliers de gènes qui le composent. « On place les molécules d’ADN dans la machine et en sortie, on récupère un fichier numérique avec l’ensemble des séquences d’ADN contenu dans l’échantillon », résument les chercheurs. Simple ? Pas tant que cela, car suivront « au moins quatre à cinq ans d’exploitation de ces données, d’utilisation de la bio informatique pour décrypter les renseignements que l’on va obtenir », précise Patrick Wincker directeur du Genescope-CEA. On pourra alors commencer à imaginer implanter à grande échelle des espèces reconnues résistantes à un certain type de stress pour compenser la disparition des espèces locales. Mais là encore, il faudra « faire beaucoup de tests en laboratoire car cela peut totalement perturber l’écosystème », souligne Quentin Carradec. L’espèce implantée pourrait par exemple prendre le dessus sur tous les autres organismes présents dans la zone. « C’est très compliqué de définir l’impact d’un nouvel organisme dans un récif corallien puisque, à l’heure actuelle, on ne connaît pas la plupart des organismes qui le composent ! », note Quentin Carradec. L’éventuelle création de coraux génétiquement modifiés pourrait être, pour le chercheur, « une autre voie possible » mais seulement « à plus long terme », car outre étudier l’impact du nouveau corail sur son environnement, il faudra également définir celui du nouveau gène dans le corail lui-même.