Comme les humains, souris et rats auraient du mal à renoncer (2 min 30)

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Les économistes ont depuis longtemps établi que les humains, quand ils ont investi du temps ou de l’argent dans une cause, ont du mal à l’abandonner, bien que les dépenses soient irrécupérables. Il s’avère que les souris et les rats pourraient bien souffrir du même défaut.

Les économistes appellent les « sunk costs » les coûts irrécupérables. Par exemple, ce n’est pas parce que vous avez payé une place pour un spectacle que vous êtes obligé d’y aller si le sujet ne vous intéresse plus, ou si vous êtes fatigué: vous ne récupérerez de toute façon pas l’argent, que vous y alliez ou non. A l’échelle d’un pays, ce n’est pas parce que des fortunes ont été englouties dans un programme qu’il faut continuer à le financer s’il ne répond plus à l’intérêt national. Le débat existe depuis longtemps pour déterminer si les animaux étaient comme les humains, attachés viscéralement à des objets, en vertu de leurs efforts passés. Des chercheurs de trois laboratoires de neuroscience et de psychologie de l’Université du Minnesota ont donc réalisé une expérience, conçue pour être similaire, coordonnée sur des souris, des rats et des humains, et dont les résultats ont été publiés jeudi par la prestigieuse revue américaine Science. Le résultat? « Les souris, les rats et les humains se comportent tous à peu près pareil », dit à l’AFP David Redish, professeur de neuroscience à l’Université du Minnesota, et co-auteur de l’étude. Les rongeurs ont été entraînés à se nourrir dans un labyrinthe comportant quatre « restaurants », dans chaque coin. A chaque fois, ils arrivaient dans une « zone d’offre », où un son les informait du temps d’attente pour obtenir une nourriture, des croquettes parfumées. Si les rongeurs acceptaient l’offre, ils se déplaçaient alors sur une zone d’attente, où un compte-à-rebours sonore les informait du temps à attendre, aléatoirement entre une et 30 secondes. Ils avaient auparavant été dressés pour comprendre ces mécanismes. Pour les humains, une expérience similaire a eu lieu avec, à la place des croquettes, des vidéos sur internet: de chatons, d’accidents de vélo, de paysages et de danseurs. Le temps d’attente avant de visionner une vidéo était représenté par une barre de téléchargement. Dans chaque cas, les cobayes pouvaient renoncer à attendre et passer à la salle (ou la vidéo) suivante. Mais l’expérience a montré que les rongeurs, comme les humains, tendaient à attendre jusqu’au bout, une fois l’attente commencée. « Plus ils attendaient, plus il était probable qu’ils continuent à attendre », explique David Redish. Comme les gens qui font la queue: « Plus on a passé de temps dans une file d’attente, plus on va attendre jusqu’au bout ». Cette attente n’est pourtant pas gratuite ! Car la durée totale de l’expérience était limitée. Plus un rongeur attendait sa croquette préférée à la banane ou au chocolat dans une salle donnée, plus il réduisait la quantité totale de nourriture qu’il pourrait obtenir durant l’expérience. David Redish fait une comparaison: « Je vais attendre 30 secondes pour du caviar. En réalité, cela vaudrait la peine d’attendre seulement cinq secondes. Avec 30 secondes d’attente, il vaut mieux passer à l’autre salle, car il est possible que je puisse y obtenir une pomme de terre en seulement cinq secondes ». L’étude est limitée par le fait qu’elle ne portait que sur 65 humains (des étudiants de l’université), 32 souris et 32 rats, sans compter que leurs tâches n’étaient pas strictement identiques. Mais elle ouvre la voie à d’autres expériences. « Le défi va désormais être d’observer le même phénomène dans d’autres espèces », a commenté la professeure de psychiatrie à l’Université du Michigan Shelly Flagel sur cette étude dans le New York Times.