Guyane: après l’arrêt des mines d’or légales, une réhabilitation problématique

Mariusz Prusaczyk de Pixabay

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Mariusz Prusaczyk de Pixabay
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En France, les exploitants miniers légaux ont l’obligation de réhabiliter les terrains fouillés une fois les filons épuisés, mais en Guyane beaucoup ne la respectent pas, ce qui cause des dégâts écologiques « colossaux » dans la forêt amazonienne.

Dans une vallée autrefois majestueusement boisée située à 60 km de Cayenne, la forêt ne pousse plus depuis quatre ans. A chaque forte pluie, les eaux dévalent les pistes abandonnées. Le sol est devenu une cuirasse où l’humus et les jeunes pousses n’ont guère de chance de s’implanter.  Jusqu’en 2018, une PME a rasé les arbres sur 25 ha, dévié la rivière puis décapé l’ancien lit au bulldozer à la recherche d’or, coté à 56.000 euros/kg. Depuis le paysage est désolé.  A quelques kilomètres, en pleine saison des pluies, la route nationale est submergée par le débordement d’une rivière altérée par une société, dûment autorisée.  Dans cette partie française de l’Amazonie, l’exploitation de l’or, même légale, pèse lourdement sur l’environnement.  Si la Loi Climat et résilience de 2021 durcit les règles pour garantir la réhabilitation des sites, elle ne s’appliquera qu’aux exploitations ouvertes à partir de 2024…  En attendant, les sites sont nombreux : depuis 1999, selon Camino, le cadastre minier numérique du gouvernement, près de 3.000 titres et autorisations d’exploitation ou de prospection, ont été délivrés par l’administration dans cette réserve de biodiversité d’une superficie égale à la Nouvelle-Aquitaine pour plus de 300.000 habitants.  Les impacts sont « colossaux », regrette Gabriel Melun, spécialiste des cours d’eau à l’OFB (Office français de la biodiversité), au regard des centaines de milliers de m3 de terre déplacés, du déstockage du mercure naturellement présent dans les sols et ramené à la surface durant les excavations et de l’altération « super significative » de la vie aquatique.  « Lorsque vous survolez les sites miniers, vous êtes effarés par ce que vous voyez. Personne n’en a conscience car c’est loin de tout en forêt. Pourtant, il y a une activité de fous », s’alarme Olivier Tostain, président du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN).

Replanter les terres exploitées

« En métropole, on dépense des millions d’euros pour restaurer les cours d’eau et ici on les détruit », s’étonne Mathieu Rhoné de l’antenne locale de l’Office de l’eau.  Pour atténuer l’impact de leurs activités, les entreprises doivent réhabiliter les écosystèmes qu’ils détruisent avant de quitter les sites, c’est-à-dire lutter contre l’érosion, reconstruire la forme du lit de la rivière et replanter les terres exploitées.  Mais le constat dressé par l’Office français de la biodiversité (OFB), l’office régional de l’eau et le CSRPN est inquiétant.  « Sur une cinquantaine de sites visités, on n’a pas vu une seule réhabilitation complète et on a vu trois à cinq sites, de correct à très bien », rapporte M. Melun.  Du côté du ministère de la Transition écologique, on assure que « la réhabilitation des sites miniers légaux constitue un sujet de préoccupation important du gouvernement et des services en charge de la police des mines ».  « Depuis vingt ans, il y a des tentatives en local pour faire avancer les choses, mais on ne parvient pas à de vrais cadres contraignants », se désole M. Tostain.   Patrick Lecante, président du comité régional de l’eau et de la biodiversité, déplore la même « absence de cadre légal pour la réhabilitation ». « Les opérateurs doivent pouvoir exploiter dans des zones appropriées mais sans dégradation des masses d’eau qui sont une richesse inestimable », souligne-t-il.  Peu de cadre légal donc et peu de moyens. Si la préfecture met en avant « un effort particulier de surveillance (…) mis en place par la police des mines », ce service ne comptait que trois inspecteurs dédiés en 2016 et six en 2020, pour environ 400 autorisations accordées. Avec, en moyenne, une à deux mises en demeure par mois et quelques interdictions temporaires d’exercer.  Une autre tentative d’encadrement des exploitants d’or alluvionnaire est en cours. Le projet « Rhysog » initié par la direction régionale de l’environnement et l’Office régional de l’eau, pour préserver la qualité des eaux dans un territoire que l’Unesco classe au second rang mondial en termes d’eau douce disponible (800.000 m3 par habitant et par an). Le projet Rhysog a débouché sur l’édition d’un manuel de bonnes pratiques et de fiches techniques.  Il faut maintenant que le préfet « procède à des contrôles et distribue des pénalités pour que les miniers tirent la profession vers le haut », exhorte Mathieu Rhoné, le référent à l’Office régional de l’eau.

« Retour du cycle forestier »

Mais les exploitants s’opposent à l’application de Rhysog qui ne tiendrait « absolument pas compte de la réalité », selon Christian Pernaut, à la tête de trois sociétés minières.  Si l’opérateur reconnaît que la filière doit s’améliorer, il soutient qu’elle « avance sur le sujet ». « On a maintenant des budgets conséquents pour la revégétalisation », cite-t-il. Environ 70.000 euros par km2, selon une autre opératrice du secteur.  Il est impératif d’« intégrer dans les équipes des personnes vraiment dédiées » à l’écologie, plaide Elodie Brunstein, ingénieure en écologie du secteur privé qui travaille depuis cinq ans avec une « dizaine » de patrons (sur 80 recensés dans le secteur). Bien appliquées, les méthodes seraient concluantes, dit-elle, avec le « retour du cycle forestier et la restauration de la qualité et de la fertilité des sols, alors qu’ils étaient presque morts ».  Néanmoins, les conséquences de l’exploitation de l’or restent lourdes pour la riche forêt guyanaise. Pour l’OFB, « il faudra une échelle décennale voire séculaire pour retrouver un milieu comparable ».  Pour l’avenir, afin d’atténuer les impacts de l’après-mine, la loi Climat et Résilience (2021) complétée par l’ordonnance du 13 avril 2022 contraignent les opérateurs à « la constitution de garanties financières » pour la réhabilitation lors de leur demande de titre minier. Selon le ministère de la Transition écologique, la mesure sera pleinement effective au « 1er janvier 2024 ». Désormais « la responsabilité de la maison-mère en cas de défaillance de sa filiale » est aussi engagée et « une police résiduelle de 30 ans après l’arrêt des travaux » est créée.  Dès 25 ha, les exploitations seront soumises à « évaluation environnementale et enquête publique », indique aussi le ministère.  Mais l’Office régional de l’eau reste sceptique face à cette loi, car la réforme ne donnerait pas toutes les garanties en permettant des « emprises minières plus impactantes ».  Pour l’association Guyane nature environnement, il était temps de « mettre la France en conformité avec le droit européen », « mais le régime actuel persiste et pourrait même ouvrir la voie à une régression » en termes de droit environnemental.