L’État a-t-il accordé des prélèvements d’eau excessifs à Volvic, une marque du groupe Danone, au détriment du milieu naturel dans le Puy-de-Dôme? Saisi par le propriétaire d’une pisciculture à sec, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand tranchera la semaine prochaine, après avoir reporté sa décision.
Edouard de Féligonde réclame plus de 32 millions d’euros à l’État, affirmant que le tarissement des sources qui alimentaient ses bassins d’élevage est lié aux prélèvements de Danone pour son usine d’embouteillage d’eau minérale « Volvic ». C’est la préfecture du Puy-de-Dôme qui délivre les autorisations de prélèvement. « Aujourd’hui, la surexploitation de cet impluvium (zone où s’infiltre l’eau de pluie) fait que la nappe phréatique a nettement baissé », affirme le propriétaire de cette pisciculture considérée comme la plus ancienne d’Europe et classée monument historique. Depuis 2017, plusieurs mois par an, ses sources situées en aval des forages de Danone sont à sec, « les bassins s’effondrent et il y a un autre préjudice, la perte d’exploitation », souligne cet homme déterminé qui bataille contre la multinationale avec le soutien d’associations et de riverains. Accusée d’assécher la zone, la société des eaux de Volvic (SEV, groupe Danone), assure sur son site internet que « la pérennité des ressources (…) est au coeur de (ses) préoccupations quotidiennes », que ses experts « veillent à une gestion raisonnée » et que « les quantités prélevées sont toujours en deçà des quantités autorisées par (…) arrêté préfectoral ». De fait, un arrêté de 2014 prévoit un volume maximal de 2,79 millions de mètres cube par an. Cela représente 88,6 litres par seconde, contre 15,6 litres par seconde en 1965, année des premiers embouteillages commerciaux. « Lorsqu’une entreprise comme Danone se déclare irresponsable parce que respectant des autorisations de l’État, il serait logique que le tribunal me fasse droit et abroge tous les arrêtés depuis 1982 », estime Édouard de Féligonde. Lors de l’audience le 5 mai, le tribunal administratif avait annoncé mettre sa décision en délibéré au 19 mai. Dans un communiqué transmis à la presse mardi, il indique que « la décision ne sera rendue que dans le courant de la semaine prochaine ». A l’audience, le rapporteur public avait conclu à l’engagement de la responsabilité de l’État et à « une carence fautive du préfet dans l’exercice de ses pouvoirs de police ». « Qui autorise les prélèvements et doit les contrôler si ce n’est l’autorité préfectorale? », a-t-il interrogé, en demandant la désignation d’un expert pour évaluer le préjudice sur la pisciculture.
« Facteur climatique »
« Les services de l’État n’ont jamais été alertés à l’époque d’une situation hydrologique nécessitant de prendre des mesures d’urgence », a contesté Caroline Mauduit, cheffe du service Eau, Environnement et Forêt à la DDT (Direction départementale des territoires), lors de cette audience. « Le préjudice résulte d’un facteur climatique, en l’espèce un phénomène de sécheresse », a-t-elle argumenté, en soulignant que la baisse du niveau de la nappe n’a été constatée qu’à partir de 2020. Fin 2021, la préfecture a pris un arrêté réduisant de 10% ses autorisations jusqu’en 2025 et de 20% au-delà. En cas d’alerte, la SEV devra limiter ses prélèvements de 5% à 20%. Mais les associations de défense de l’environnement y voient une mesure « en trompe l’oeil »: « les prélèvements sont inférieurs aux autorisations et les baisses concernent des volumes annuels ou mensuels, pas journaliers », relève René Boyer, président de la FNE 63 (France Nature Environnement). Selon lui, « cela signifie que Danone peut pomper un maximum sur une journée, même en période de sécheresse quand on a le plus besoin d’eau ». La SEV assure être engagée dans une démarche de réduction de la consommation d’eau pour ses opérations de nettoyage. Sollicitée par l’AFP, elle n’a pas souhaité réagir à la procédure en faisant valoir que, « en tant qu’observateur, il ne lui appartient pas de se prononcer sur cette affaire qui ne la met pas en cause ». Une condamnation de l’État « serait exemplaire pour l’ensemble des sites qui ont des problèmes identiques, comme à Vittel », avec les forages du groupe Nestlé, estime Daniel Bideau, président de l’UFC-Que choisir dans le Puy-de-Dôme. En parallèle, ces associations ont déposé un recours contre un arrêté de mars 2021 qui exclut les embouteilleurs de toute contrainte en période de sécheresse. Pour la Confédération paysanne, « ce combat est aussi celui contre l’accaparement de l’eau par des intérêts privés ».