La filière de la betterave sucrière, sinistrée par des invasions de pucerons, pourra bien utiliser provisoirement les insecticides néonicotinoïdes, au grand dam des ONG et apiculteurs qui dénoncent la réintroduction de ces « tueurs d’abeille » interdits.
Le Conseil d’Etat a validé lundi 15 mars les modalités d’une dérogation très contestée décidée par le gouvernement, dont la politique environnementale est déjà la cible de nombreuses critiques. A la demande des betteraviers, qui évaluent à 280 millions d’euros leurs pertes l’an dernier suite à une épidémie de « jaunisse » propagée par un puceron que d’autres traitements n’ont pas permis d’éliminer, le gouvernement a fait adopter en décembre une loi permettant la réintroduction, par dérogations annuelles jusqu’à 2023, de semences de betteraves sucrières enrobées de néonicotinoïdes. Dérogation prévue et encadrée par la réglementation européenne sur l’interdiction générale de ces insecticides, dont la dangerosité pour la biodiversité est reconnue. La loi avait été validée par le Conseil constitutionnel, saisi par des parlementaires opposés à cette réintroduction. Mais plusieurs ONG, le Syndicat national des apiculteurs et la Confédération paysanne, avaient attaqué en procédure d’urgence devant le Conseil d’Etat l’arrêté du gouvernement précisant les modalités pour 2021 de cette utilisation. Alors que la période des semis doit débuter dans quelques semaines, elles estimaient notamment qu’il ne répondait pas aux obligations d’un usage « limité et contrôlé » et que toutes les solutions alternatives n’avaient pas été explorées.
Mais la plus haute juridiction administrative de France a tranché lundi en leur défaveur, jugeant cet arrêté contraire ni à la Constitution ni au droit européen. Le juge des référés (procédure d’urgence) a tout d’abord estimé que la loi autorisant cette réintroduction ayant déjà été validée par le Conseil constitutionnel, l’arrêté « se borne à (la) mettre en oeuvre pour la seule campagne 2021 et pour la période maximale de 120 jours« . Par ailleurs, il a estimé que la décision respecte les conditions prévues pour une dérogation, en raison du « risque d’une nouvelle infestation massive par des pucerons« . Et que « les pertes importantes de production subies en 2020 témoign(ent) de ce qu’il n’existe pas d’autres moyens raisonnables pour maîtriser ce danger pour la production agricole concernée, tout au moins pour la campagne 2021« . « Une décision très décevante (…) Pas un mot sur tout ce qui est contrôle et surveillance« , regrette Corinne Lepage, avocate de plusieurs requérants et ancienne ministre de l’Ecologie. Elle compte désormais sur une procédure parallèle devant la Commission européenne, qu’elle a saisie sur la question du respect par la France des conditions dérogatoires. Plus globalement, elle dénonce « les positions extrêmement conservatrices du Conseil d’Etat sur les questions de santé environnementale« .
Guillaume Tumerelle, autre avocat de plaignants, a de son côté estimé que le Conseil d’Etat avançait des « arguments surprenants« , sur l’absence d’alternatives ou la limitation géographique de l’usage des néonicotinoïdes. Il envisage également avec ses clients une procédure devant la Commission européenne. Agir pour l’Environnement et la Confédération paysanne ont dans un communiqué « dénoncé les approximations et mensonges du ministère de l’Agriculture qui ont permis au Conseil d’Etat de rejeter le référé« , notamment selon elles sur des données météo. Le ministère de la Transition écologique n’a pas souhaité réagir. La ministre Barbara Pompili, venue des rangs écolos, avait elle-même porté en 2016 comme député la loi interdisant ces insecticides. Mais elle avait appuyé cette réautorisation ciblée, arguant de « l’échec » à trouver une autre solution permettant de préserver la filière sucrière française. Son ex-parti, EELV, a une nouvelle fois dénoncé lundi « une décision dangereuse qui mène les agriculteurs dans une impasse« .