Néonicotinoïdes : progrès, alternatives, avertissements (4 mn)

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La saga néonicotinoïdes se poursuit : l’Anses a publié des recommandations pour mettre en place des alternatives aux insecticides tueurs d’abeilles, tandis que l’Europe vient d’interdire l’utilisation de trois de ces substances actives et propose la création d’indicateurs pour surveiller les pollinisateurs.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a recommandé mercredi « d‘accélérer la mise à disposition » de méthodes alternatives aux néonicotinoïdes qui soient « efficaces et respectueuses de l’homme et de l’environnement, pour la protection et la conduite des cultures ». La loi sur la biodiversité de 2016 prévoit l’interdiction des néonicotinoïdes en France à partir du 1er septembre 2018, avec des dérogations possibles au cas par cas jusqu’au 1er juillet 2020. Ces substances s’attaquent au système nerveux des insectes, désorientent les pollinisateurs, contribuant au déclin spectaculaire des colonies d’abeilles. Elles touchent aussi des invertébrés terrestres et aquatiques et persistent dans l’eau et les sols. Par ailleurs, un règlement européen concernant les usages de trois substances actives néonicotinoïdes (Thiamétoxame, Imidaclopride, Clothianidine) a été promulgué : à compter du 19 décembre 2018, ces insecticides ne pourront plus être mis sur le marché européen ni utilisés, à l’exception des usages sous serre. Ce règlement intervient après que l’Agence européenne pour la sécurité des aliments (Efsa) en a confirmé le caractère nocif pour les abeilles Il s’appliquera également aux autorisations de mise sur le marché français des produits phytopharmaceutiques à base de ces substances.

C’est dans ce cadre que l’Anses a réalisé une évaluation des risques et des bénéfices des produits phytopharmaceutiques à base de néonicotinoïdes, et de leur alternatives. L’agence examine aussi les impacts sur la santé humaine de ces substances. 130 usages autorisés des néonicotinoïdes ont été étudiés, indique l’agence dans son rapport final. « Pour une majorité des usages, des alternatives (chimiques et non chimiques), suffisamment efficaces et opérationnelles, ont pu être identifiées », conclut-elle. Seuls 6 cas ne présentent « aucune alternative, qu’elle soit chimique ou non chimique ». « Dans 78% des cas analysés, au moins une solution alternative non chimique existe », relève l’Anses. En l’état des connaissances, les méthodes non chimiques apparaissant comme les plus aptes à remplacer immédiatement, efficacement et durablement les néonicotinoïdes sont « la lutte biologique, la lutte physique par application d’une couche protectrice (huile de paraffine, argile…), et la lutte par confusion sexuelle ». Elle préconise une approche de « lutte intégrée », combinant ces solutions. « Il n’a pas été possible d’identifier des substances ou familles de substances chimiques qui présenteraient de façon globale un profil de risque moins défavorable que les néonicotinoïdes », estime l’Anses. « L‘impact sur l’activité agricole de l’interdiction des néonicotinoïdes est difficile à anticiper », ajoute t-elle. Elle préconise de remplacer les applications prophylactiques comme les traitements de semences auxquels appartiennent les néonicotinoïdes, par « une observation très régulière des bioagresseurs dans les parcelles (épidémiosurveillance), la mise en oeuvre en premier lieu de l’ensemble des méthodes de lutte non chimiques (combinaison de méthodes à effets partiels) ». L’application d’un insecticide ne doit intervenir qu’en dernier recours, ajoute-t-elle.

En écho aux recommandations de l’Anses, 233 chercheurs internationaux ont signé, à l’initiative du scientifique britannique Dave Goulson, un appel dans le journal Science pour inviter les Etats du monde à restreindre rapidement l’usage des insecticides néonicotinoïdes. Ils insistent sur la nécessité de ne pas les remplacer par des produits qui auraient les mêmes effets sur la biodiversité. Ils appuient notamment leur argumentation sur les alertes lancées par la Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) à l’occasion des évaluations sur les pollinisateurs ou des évaluations régionales de la biodiversité et des services écosystémiques.

De son côté, la Commission européenne a indiqué qu’elle allait créer un indicateur destiné à mieux surveiller les abeilles et autres pollinisateurs dans l’UE, dont la survie est pour certains menacée. Cette volonté de mieux surveiller ces insectes essentiels pour la quantité et la qualité des cultures fait partie d’un paquet de mesures visant à inverser une tendance préoccupante: un insecte pollinisateur sur dix est sur le point de disparaître, et un tiers des espèces d’abeille et de papillon est en déclin, souligne la Commission. Bruxelles propose également d’établir une liste des habitats naturels importants pour le développement de ces insectes et souhaite lancer un projet pour surveiller la présence de pesticides dans l’environnement. L’exécutif européen va également lancer une campagne de sensibilisation à tous les niveaux, des écoles aux entreprises, en particulier dans le secteur agro-alimentaire. « Les pollinisateurs sont un excellent indicateur de l’état de santé de l’écosystème. S’ils ne vont pas bien, nous pouvons être sûrs que la biodiversité d’une manière générale ne va pas bien, et c’est une mauvaise nouvelle », a souligné le commissaire à l’Environnement Karmenu Vella. « Il est clair que nous devons en faire plus », a-t-il ajouté. L’ONG WWF a critiqué les propositions de la Commission. « L’intention est bonne, mais l’initiative proposée manque de mordant, car elle n’inclut pas de mesures fortes et concrètes pour s’attaquer aux facteurs les plus importants du déclin des pollinisateurs: l’agriculture intensive, l’utilisation des pesticides et le changement dans l’utilisation des terres », a regretté WWF dans un communiqué.

L’appel des scientifiques à restreindre les néonicotinoïdes