Forêts et sentiers sont redevenus accessibles… mais pendant le confinement, la nature a pris ses aises. Faune et flore occupent des lieux où le retour des humains pourraient les mettre en danger. Les appels à la prudence se multiplient.
Le déconfinement de millions d’humains risque d’être dramatique pour les animaux qui se sont réappropriés des espaces désertés par l’activité humaine, avertissent l’Office national des forêts (ONF) et la Ligue de protection des oiseaux (LPO). L’ONF rappelle ainsi que les week-ends de mai sont par exemple en Ile-de-France« déjà ceux qui habituellement reçoivent le plus de monde.Or, pendant près de deux mois de confinement la tranquillité inhabituelle retrouvée en forêt a donné (aux animaux) envie de se déplacer davantage, voire d’aller dans des endroits fréquentés par l’homme.Et au sortir de cette période la faune sauvage sera plus sensible au dérangement», d’autant que c’est le moment des naissances pour les mammifères et de la nidification pour les oiseaux.« Les visiteurs vont faire irruption dans une nurserie qui a perdu l’habitude des hommes », résume Pierre-Edouard Guillain, directeur de l’agence Ile-de-France Est de l’ONF. L’Office recommande notamment aux futurs promeneurs de s’écarter des sentiers battus afin de ne pas aller tous au même endroit et « ne pas se cantonner aux emplacements proches des parkings et des entrées forestièreset de garder les animaux de compagnie sous contrôle ». La LPO de son côté appelle également les promeneurs déconfinés à « redoubler de précautionspour éviter une hécatombepar la destruction involontaire d’animaux et de plantes sauvages qui ont investi certains espaces pendant le confinemen t». « La faune sauvage s’est épanouie en l’absence de l’homme. Elle a occupé de façon inédite des espaces qui lui étaient interdits. Aujourd’hui, la nature ne doit pas perdre ce qu’elle a gagné durant le confinement », souligne Allain Bougrain Dubourg, président de la LPO, dans un communiqué. [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]
Dans les gorges de l’Ardèche par exemple, jusqu’à la semaine dernière ne remontaient que le chant des oiseaux, le coassement des grenouilles et le murmure de la rivière. Avant le retour des hommes, les gorges de l’Ardèche dans le sud-est de la France profitaient de leurs derniers instants de tranquillité.« Cela fait 40 ans que je les observe et jamais je n’aurais imaginé pareil spectacle, pareil silence »,s’émerveille Gilbert Cochet, qui préside le comité scientifique de cette réserve naturelle créée en 1980 face à la pression touristique. Depuis le belvédère du Serre de la Tour, la vue embrasse l’ample méandre du Pas de Mousse, 200 mètres en contrebas, vide du moindre canoë, depuis que la France s’est confinée mi-mars.
Avec 1,5 million de visiteurs par an, les gorges ont parfois la réputation d’être une autoroute pour ces embarcations. Début mai, d’ordinaire, la saison bat déjà son plein et le bruit des voitures sur la route menant au Pont d’Arc, l’arche minérale qui forme l’entrée des gorges, couvre les sons de la nature. « Ces deux mois de confinement nous ont montré une autre réserve, que personne ne connaissait, ou alors il y a fort longtemps, peut-être l’homme de Cro-Magnon. On l’avait oubliée, on l’a redécouverte et c’est tellement bien qu’on n’a pas envie de la perdre », poursuit le naturaliste en suivant à la jumelle le ballet de deux circaètes dans le ciel. M. Cochet évoque les peintures de la grotte Chauvet voisine, prouvant que l’homme préhistorique cohabitait avec cerfs, aurochs et bisons. « L’auteur de ce magnifique bestiaire n’avait ni téléobjectif, ni jumelles, il voyait cette grande faune de près. »
Plus d’un millier d’espèces végétales vivent dans cet espace témoin d’une histoire géologique complexe. L’Ardèche serpente sur une vingtaine de kilomètres entre des versants abrupts et boisés, où domine le chêne vert, et de hautes falaises de calcaire. La position du site, qui mêle des influences continentales et méditerranéennes, et la présence de multiples sources génèrent une grande diversité de milieux accueillant des animaux protégés comme l’aigle de Bonelli, le vautour percnoptère, le faucon pèlerin, le castor d’Europe, mais aussi loutres, chauves-souris, aloses ou aprons. Eux et d’autres, tel ce cormoran qui fait sécher ses ailes au soleil sur un rocher et ne s’effarouche pas, se sont réappropriés les lieux ces dernières semaines. Le chevreuil s’est montré davantage également – sur une rive sablonneuse, l’un d’eux a laissé trace de son passage récent. « Il s’est passé l’inverse de ce qui se passe habituellement : les gens sont restés chez eux et les animaux ont pu se déconfiner dans la nature », relève la naturaliste Béatrice Kremer-Cochet. Qui plus est en période de reproduction : de quoi espérer de belles couvées et portées, ici et ailleurs. Dans le Mercantour, plus au sud-est, cinq couples de gypaètes barbus ont pu se reproduire ce printemps, « un résultat remarquable »selon M. Cochet. À condition que le retour des humains ne tue pas dans l’oeuf ces effets bénéfiques. La Ligue de protection des oiseaux (LPO), de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a appelé à la vigilance ceux qui s’apprêtent à réinvestir parois et sentiers. « Des rapaces ont pu faire leur nid au beau milieu d’une voie d’escalade désertée », prévient Adrien Lambert, chargé par la LPO de concilier sports en pleine nature et respect de la biodiversité. « Les petits viennent d’éclore et ont besoin d’être nourris par leurs parents, qu’il faut éviter de déranger autant que possible. ». « Le déconfinement nous inquiète beaucoup, abonde Marc Giraud, porte-parole de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). Ceux-ci ne font plus trop attention aux humains et ça va leur faire drôle de les voir déferler à nouveau. Les hérissons se faisaient beaucoup moins écraser ces derniers temps… »
Quelles leçons tirer de cette parenthèse durant laquelle la nature a pu « reprendre ses droits » ? Comme d’autres, les naturalistes rêvent d’un « après » différent de « l’avant », où l’homme partagerait mieux l’écosystème avec ses « voisins de planète » et les croiserait plus souvent. L’office du tourisme du Pont d’Arc, créé il y a cinq ans, encourage des pratiques plus sensibles à l’environnement, comme les randonnées au crépuscule en petit comité ou les descentes en deux jours encadrées par un guide. « Ce qu’on vient de vivre va forcément déboucher, à l’avenir, sur une logique de dédensification, les gens vont moins s’agglutiner », veut croire son directeur, Vincent Orcel.
De son côté, le Conservatoire du littoral se préoccupe du risque d’afflux de fréquentation sur ses sites. L’année 2020 qui semblait exceptionnelle pour la reproduction pourrait s’avérer catastrophique : oeufs écrasés, nichées piétinées, poussins séparés de leurs parents, voire dévorés par les chiens non tenus en laisse. Afin d’éviter cette hécatombe, le Conservatoire du littoral, l’Office national des forêts, Rivages de France, la Ligue pour la protection des oiseaux et de nombreux acteurs de la protection de la nature, en lien avec l’Office français de la Biodiversité, lancent un appel pour alerter le public afin d’anticiper les impacts de la réouverture des sites naturels du littoral. Dans la mesure du possible, les nids seront identifiés, isolés par un balisage à caractère pédagogique, afin de les exclure du parcours des sentiers et accès publics. L’ensemble des organismes en charge de la protection de la nature en appellent à la plus grande vigilance et attention des promeneurs et usagers du littoral afin que ces poussins, trésors vivants de nos rivages, ne deviennent des victimes collatérales du déconfinement.
Tous ces acteurs rappellent les attitudes à adopter pour réduire son impact et sauver les poussins dans le respect des consignes sanitaires générales et notamment la distanciation physique :
- Vérifiez que l’accès du site où vous comptez vous rendre est autorisé ;
- Restez sur les sentiers balisés et habituels. Si vous avez un chien, tenez-le strictement en laisse ;
- Sur les sites littoraux, gagnez le plus rapidement possible le fil de l’eau pour mener vos activités sportives ou récréatives et restez au plus proche de l’eau ;
- Evitez au maximum de fréquenter le haut de plage, les dunes de sable ou végétalisées en arrière littoral, lors de vos parcours vers les stationnements ;
- Si vous voyez un oiseau posé au sol qui vous semble blessé ou pousse des cris répétés, éloignez-vous au plus vite car il s’agit d’une manoeuvre destinée à vous éloigner du nid ou une alarme indiquant la présence d’un nid ou de poussins ;
- Respectez les zones balisées avec une signalétique adaptée à l’opération ;
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