🔻 La dérive des déchets plastiques suivie par satellite pour des océans plus propres

Photo d'illustration ©-Richard-Carey-Fotolia

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Ery Ragaputra, un technicien de CLS Argos, lance une balise à la mer, le 20 octobre 2020, au large de Teluk Naga, en Indonésie, là où le fleuve Cisadane se jette dans la mer de Java près de Jakarta, pour repérer le trajet des déchats plastiques.

Des tonnes de déchets plastiques issus des rues de Jakarta sont emportées par les pluies en mer et flottent parfois jusqu’aux plages de Bali ou jusqu’à l’océan Indien. Grâce à des balises satellites, des scientifiques étudient cette dérive pour les collecter plus efficacement. Forte d’une population de près de 270 millions d’habitants, l’Indonésie est le deuxième contributeur au monde, derrière la Chine, à ces amas de plastiques qui polluent les océans. Si la priorité est de réduire l’usage du plastique et les volumes charriés par les fleuves dans l’archipel, le défi est immense, et ces efforts risquent de prendre encore des années. En attendant, une équipe de chercheurs veut mieux comprendre comment ces déchets sont disséminés et comment mieux les collecter.

Des balises satellites Argos sont déployées depuis février à l’embouchure de fleuves à Jakarta, près de Bandung (Java centre) et de Palembang (Sumatra) par la société française CLS, filiale du CNES (Centre National d’Etudes Spatiales), pour un projet du ministère indonésien des Affaires Maritimes et de la Pêche. Ery Ragaputra, un collaborateur de CLS, est parti en bateau fin octobre là où le fleuve Cisadane se jette dans la mer de Java près de la capitale indonésienne. « Aujourd’hui nous lançons des balises GPS pour découvrir l’itinéraire des débris plastiques qui arrivent en mer« , explique-t-il à l’AFP en jetant à l’eau les balises jaunes enveloppées d’une protection imperméable.

Les balises, dotées de batteries d’une autonomie d’un an, émettent toutes les heures un signal vers un satellite, qui est retransmis à un centre de traitement de données à Toulouse, en France, où se trouve le siège de CLS, puis arrive sur les écrans du ministère à Jakarta. Bonne nouvelle pour ce projet soutenu par la Banque mondiale et l’Agence française de développement : selon les premières observations, « 90% des balises échouent après quelques heures ou quelques jours sur les côtes, ce qui est plus facile pour que les autorités organisent la collecte« , explique Jean-Baptiste Voisin, directeur de la filiale indonésienne de CLS. La plupart des balises lancées au large de Jakarta ont ainsi été détectées sur le rivage de l’île de Java, mais certaines poursuivent leur dérive plus de 1.000 km vers l’est jusqu’à Bali. D’autres balises lancées à Surabaya, deuxième ville du pays, ont échoué dans les mangroves de Sumatra à l’ouest de l’archipel, un milieu particulièrement fragile.

« Quelques-unes lancées il y a six mois sont toujours en train de dériver, et malheureusement ça veut dire que les débris sont encore dans l’océan et qu’ils vont rejoindre les vastes accumulations de plastique dans l’océan Indien ou Pacifique« , dit Jean Baptiste Voisin. 70 balises doivent être lancées pour mieux comprendre la dérive des déchets en fonction des saisons, du vent, des vagues et des courants. Et ainsi mieux anticiper l’impact sur les écosystèmes et optimiser le ramassage. Les autorités pourront ainsi décider d’une collecte sur terre, placer un barrage sur un site stratégique, ou envoyer des bateaux récupérer des déchets en mer.

Ces déchets représentent un danger pour des centaines d’espèces marines et d’oiseaux et un risque encore peu étudié pour la santé humaine via les microplastiques que l’on peut ingérer. « Le plus important est de savoir comment les débris vont rencontrer les migrations d’animaux, comme les tortues et les baleines« , explique Aulia Riza Farhan, directeur adjoint de la surveillance et de la flotte du ministère des Affaires maritimes. Les déchets issus de Jakarta représentent un risque particulièrement important pour les tortues qui migrent de l’île de Bornéo vers Bali, note-t-il. Il y a deux ans, un cachalot a été retrouvé mort sur une côte indonésienne avec six kilos de déchets plastiques dans son estomac, dont 115 gobelets et 25 sacs.

Quelque huit millions de tonnes de plastique sont déversées dans les océans chaque année, soit un camion par minute, selon l’ONG américaine Ocean Conservancy. Et plus de 620.000 tonnes par an viennent d’Indonésie. Le pays d’Asie du Sud-Est s’est fixé pour objectif de diminuer ces quantités de 70% d’ici 2025. Dans la capitale les sacs plastiques à usage unique ont été bannis cette année mais le recyclage des déchets est encore balbutiant. Sans changement radical, la pollution plastique en mer issue d’Indonésie pourrait encore bondir de 30% d’ici 2025, reconnaît le gouvernement.

Les déchets plastiques constituent la source de pollution des océans la plus visible, mais d’autres formes de pollution marine « augmentent en silence« , avec des effets sur la santé humaine qu’on commence seulement à comprendre, pointe un rapport présenté à Monaco jeudi 3 décembre. Publiée dans la revue américaine Annals of GlobalHealth, cette étude dresse la liste des problèmes : les marées noires dont « la fréquence a augmenté ces dernières années« , les pesticides et fertilisants utilisés dans l’agriculture intensive qui « étendent les micro-algues toxiques à des régions épargnées jusqu’alors« , le mercure issu de l’extraction de l’or ou de la combustion du charbon, ou encore les produits chimiques industriels ou pharmaceutiques.

À plus de 80%, la source de ces pollutions se trouve à terre, souligne le rapport qui montre aussi la voie à suivre et fixe des priorités pour la recherche. « C’est le premier à examiner de manière très complète l’impact total de la pollution des océans« , détaille auprès de l’AFP le Dr Philip Landrigan, épidémiologiste américain rattaché à l’université Boston College et coordinateur de ce rapport, signé par une quarantaine de scientifiques de 40 pays différents. Insidieuse, la pollution des océans contribue à des cas d’infections, d’intoxications alimentaires, comme la ciguatera, une préoccupation récurrente aux Antilles et aux Caraïbes, ou même de choléra, comme au large du Yémen en guerre.

« La bactérie du choléra est normalement présente en très petite quantité dans l’océan, mais sous l’effet combiné du réchauffement de la mer et du rejet de déchets, elle se multiplie et touche de nouvelles zones », décrit le Dr Landrigan. « Quand l’océan est pollué, il nourrit des algues dont certaines produisent des toxines très puissantes qui vont dans les huîtres, les moules ou les poissons. Les huîtres peuvent sembler parfaites, avoir très bon goût, mais quand on les mange, en quelques minutes, les gens font un malaise ou décèdent parfois« , ajoute-t-il.

Une « Déclaration de Monaco » invitant les dirigeants mondiaux et les citoyens du monde entier à « reconnaître la gravité de la pollution des océans et ses dangers croissants » a été approuvée par les scientifiques, médecins et autres intervenants à un symposium, organisé en Principauté, avec le partenariat de l’organisation mondiale de la santé (OMS). « Comme toutes les formes de pollution, la pollution des océans peut être évitée et contrôlée« , souligne cette déclaration qui met en exergue les succès déjà obtenus notamment dans des ports ou des estuaires pollués. La déclaration invite à persévérer : « Les interventions contre la pollution des océans sont très rentables. Elles ont permis de stimuler les économies, d’augmentation le tourisme et la restauration de la pêche. Ces avantages perdureront durant des siècles« .