Le loup continue à étendre son territoire et devrait dépasser les 500 individus cet hiver, un seuil critique pour la viabilité l’espèce. L’association Ferus a annoncé avoir porté plainte auprès de la Commission européenne contre l’Etat français, estimant qu’il ne respecte pas ses obligations de protection du loup.
En six mois, la population est passée de 74 à 85 zones de présence permanente, dont 72 meutes (au moins trois individus ou avec une reproduction avérée), selon le bilan estival publié jeudi par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. « Il est probable que l’effectif en sortie d’hiver 2018/2019 dépasse les 500 loups, contre environ 430 à la fin de l’hiver précédent, estime l’ONCFS. Ce chiffre de 500 correspond à un premier seuil de viabilité démographique » et il était l’objectif figurant dans le « plan loup » du gouvernement, qui se l’était fixé pour 2023. Le plan, présenté début 2018 par Nicolas Hulot et très critiqué des éleveurs d’ovins, prévoyait un réexamen du dispositif de « gestion » de la population une fois ce seuil atteint. Jadis présent partout en France avant d’être éradiqué, le loup est revenu naturellement au début des années 1990, par l’Italie. Selon ce dernier bilan, sa présence continue de se densifier dans les régions alpines et provençales. Il explore aussi des territoires moins familiers, avec une « augmentation perceptible » en Occitanie (Aude, Aveyron, Gard, Lozère). Plus de communes constatent une présence régulière dans une zone entre Vosges et Meurthe-et-Moselle, et dans la Nièvre. Des informations ponctuelles sont recueillies dans le Cantal, en Corrèze, Côte d’Or, dans la Creuse, le Jura, la Somme et le Tarn, mais doivent être confirmées sur la durée. A l’origine de ce retour, le reboisement, l’exode rural, l’augmentation des proies, l’adaptabilité d’un animal capable de parcourir de grandes distances, et de strictes mesures de protection européennes.
La « viabilité démographique » concerne l’aptitude de la population, à moyen terme (100 ans), à résister au risque d’extinction, face à des aléas de survie et de fécondité d’autant plus forts que les effectifs sont restreints. Mais il y a une autre étape : la viabilité génétique. « Une taille efficace de 500 a longtemps été considérée nécessaire pour préserver le potentiel évolutif et réduire suffisamment les problèmes de dépression de consanguinité. Les généticiens considèrent aujourd’hui qu’il s’agit d’une sous-estimation, et recommandent des tailles efficaces de l’ordre de 1.000-5.000 », relevait en 2017 l’expertise commandée par le gouvernement à l’ONCFS et au Muséum national d’histoire naturelle. In fine, 2.500 à 5.000 loups adultes seraient « le minimum nécessaire » pour que cette population soit viable, selon ce rapport, mais pas forcément sur le seul territoire français. « On ne peut pas dire qu’à 500 on ait atteint un effectif suffisamment rassurant, on reste prudent », a réagi jeudi l’écophysiologiste Yvon Le Maho, qui avait participé à ces travaux, et prône une politique de régulation européenne. Ces nouveaux chiffres devraient en tout cas alimenter la vive querelle autour des autorisations d’abattages. En octobre, l’Etat a relevé de 43 à 51 le plafond autorisé pour 2018, un chiffre atteint un mois plus tard, au grand dam des organisations d’éleveurs, qui le jugent insuffisant. L’association de protection du loup Ferus annonce être « vigilante quant au ré-examen du dispositif de gestion : Bientôt 500 loups en France? Et alors? Ce chiffre reste bien faible pour une espèce dont le retour a débuté il y a près de 30 ans ».
Hier, Ferus a annoncé avoir porté plainte auprès de la Commission européenne contre l’Etat français, estimant qu’il ne respecte pas ses obligations de protection du loup. Fin novembre, le plafond d’abattages de 51 loups avait été atteint. Le préfet d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui coordonne le plan loup au niveau national, a alors pris un arrêté permettant la poursuite de tirs de défense simple contre les loups jusqu’au 31 décembre. Ces tirs de défense simple sont accordés à un berger ou à un éleveur et doivent être effectués dans des conditions très précises, quand un troupeau est menacé par la présence immédiate d’un loup, et à condition que des mesures de protection aient été prises (enclos, présence d’un berger ou de chiens). Or, avec plus de 1.460 arrêtés de tirs de défense simple en vigueur, selon les chiffres de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) d’Auvergne-Rhône-Alpes, pour une population de loups estimée à 500 dans l’Hexagone, l’Etat met « potentiellement et sciemment en danger grave l’état de maintien en état de conservation de l’espèce dans son aire de répartition naturelle », estime Ferus dans un communiqué. Sur les 51 loups abattus entre janvier et fin novembre, 19 l’ont été par des tirs de défense simple, nuance Mathieu Métral, chef de l’unité loup à la DREAL et une attaque « a plus de chance de se produire en juillet qu’en décembre », alors que les troupeaux ne sont plus dans les pâturages de montagne.
Les limites d’abattage sont basées sur les recommandations scientifiques, qui estiment qu’il ne faut pas prélever plus de 10 à 12% de l’effectif sous peine de menacer l’espèce. Elles s’accompagnent d’aides à la protection des troupeaux (chiens, parcs électriques…) et d’indemnisations, critiquées par les éleveurs. Jeudi dernier, des éleveurs ovins qui réclamaient des mesures rapides contre le loup ont déchargé par camion 350 brebis en plein centre de Nîmes et ont manifesté devant la préfecture du Gard. La FNSEA, jointe par l’AFP, n’a pas fait de commentaire. En France, le nombre de brebis attaquées est passé de 1.400 en 2000 à près de 3.000 en 2004, puis environ 10.000 en 2016 et 12.000 en 2017 (sur un cheptel ovin de 7,2 millions de têtes à l’échelle nationale), selon la direction de l’environnement Auvergne-Rhône Alpes.