Autoriser l’abattage de loups encourage-t-il le braconnage ? La question divise les scientifiques au moment où le gouvernement prépare un nouveau « plan loup », pour la période 2018-2023, qui devrait fixer le nombre de ces animaux pouvant être légalement tués.
Depuis des décennies, les pouvoirs publics, en Europe comme aux Etats-Unis, autorisent l’abattage sous contrôle des loups, espérant ainsi améliorer leur cohabitation avec l’homme et mieux les préserver. Mais la méthode ne fait pas l’unanimité parmi les scientifiques. Une étude portant sur quinze ans de cette pratique dans les Etats américains du Minnesota et du Wisconsin avait fait grand bruit en 2016, en affirmant qu’autoriser des abattages de loups pour éviter le braconnage pouvait au contraire encourager la chasse illégale. Selon ses auteurs, Guillaume Chapron, de la Swedish University of Agricultural Sciences, et Adrian Treves, de l’Université du Wisconsin, lorsque des abattages ont été autorisés, la croissance de la population de loups a été « réduite de 25% à cause du braconnage ». Les conclusions de ces travaux sont contestées par un chercheur du Norwegian Institute of Nature Research, Audun Stien, dans un article paru le 22 novembre dans la revue britannique Proceedings B. Cette étude a « de sévères lacunes », accuse-t-il. Audun Stien reproche aux chercheurs d’exposer de manière biaisée les résultats d’études antérieures, d’utiliser un modèle statistique inadéquat et de ne pas avoir évalué comment les variations des taux de reproduction affectaient leurs conclusions. La conclusion selon laquelle le braconnage augmente avec les abattages autorisés « ne s’appuie sur aucune preuve empirique », affirme-t-il.
Des critiques jugées « pas convaincantes » par un spécialiste des grands carnivores, Chris Darimont, de l’université de Victoria (Canada). Lorsque Audun Stien « montre que la probabilité de se reproduire baisse quand les abattages sont autorisés pendant une plus grande partie de l’année, (il) conforte en fait » les conclusions de Guillaume Chapron et d’Adrian Treves, relève-t-il. M. Darimont trouve « intéressant que lorsque des chercheurs, comme Treves et Chapron, mettent en cause des conceptions de la gestion de la vie sauvage fondamentales et admises depuis longtemps (…), leur travail soit autant critiqué ». « Défier le statu quo fait grincer des dents et fait entrevoir aux gestionnaires de la vie sauvage que les stratégies menées jusqu’à présent étaient peut-être erronées », dit-il à l’AFP. Quand en plus « un lobby puissant, les chasseurs de carnivores, est menacé, les critiques sont souvent particulièrement vives », souligne-t-il.
En France, l’abattage de 40 loups a été autorisé entre le 1er juillet 2017 et le 30 juin 2018. A la fin de l’été, 22 loups avaient été « prélevés ». Les éleveurs ont manifesté à plusieurs reprises leur inquiétude face au futur plan loup, qui entend privilégier les tirs d’effarouchement à l’abattage. Le loup avait disparu de France dans les années 1930. Aujourd’hui, la population de Canis lupus – espèce protégée en Europe – est estimée à environ 360 individus en France.