Incendies de forêt : stratégie à revoir ?

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La doctrine en vigueur en France dans la lutte contre les incendies de forêt a été conçue en 1992, et elle a prouvé & son efficacité. Mais le changement climatique implique de la remettre en cause.

Suite aux grands incendies de forêts des années 1990 dans le sud-est de la France, une nouvelle politique et stratégie de prévention et de lutte, a été mise en place à partir de 1992. Sa pierre angulaire ? L’attaque massive des feux naissants avec tous les moyens disponibles, pour éteindre les incendies le plus tôt possible et éviter leur extension. Une nouvelle étude menée par l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA) analyse l’effet de cette politique sur l’activité des feux de forêt, questionne son efficacité à long terme et propose des pistes d’action pour une gestion durable du risque sur le territoire.

Les chercheurs de l’IRSTEA Aix ont comparé le nombre annuel d’incendies et d’hectares de surfaces brûlées, avant (1975 à 1994) et après la mise en place de la nouvelle politique (1 995 à 2014). Celle-ci a été indéniablement efficace puisque le nombre de départs de feux a diminué de 25 % et les surfaces brûlées de 60 %. Cette baisse de l’activité des feux a été enregistrée alors que plusieurs facteurs favorables aux incendies ont simultanément augmenté : l’aléa météorologique, le recouvrement par la végétation combustible, et la densité de population. Ces bons résultats sont dus en grande partie aux moyens considérables principalement investis dans la lutte, et à l’efficacité et l’engagement des pompiers. La France est ainsi souvent présentée comme le « bon élève » en Europe : les incendies sont 4 à 5 fois moins nombreux qu’au Portugal ou en Espagne, et les surfaces brûlées 10 fois moins grandes. Il faut noter que des tendances à la diminution sont aussi enregistrées dans d’autres régions d’Europe, grâce à une prévention et à une lutte plus efficace.

Alors, tout est-il sous contrôle depuis 1994 ? Malheureusement non. Les grands incendies de 2003, de 2016 et ceux en cours en 2017, soulignent que les facteurs favorisants les incendies sont toujours présents, et qu’ils augmentent : une météo avec plus d’épisodes chauds et secs, l’extension des enjeux humains (maisons, infrastructures…), et l’augmentation de la végétation combustible. Dans des conditions météorologiques « moyennes » (lorsque la température est proche de la moyenne depuis 1959), le dispositif des pompiers est efficace, ils parviennent à éteindre rapidement la plupart des feux. Mais en cas d’années exceptionnelles, soit particulièrement chaudes ou ventées, certains incendies échappent à l’attaque initiale, ravagent plusieurs centaines ou milliers d’hectares et deviennent parfois dévastateurs. C’est le cas du grand feu de Rognac-Vitrolles en août 2016, avec 181 bâtis impactés par le feu (24 maisons détruites), une zone commerciale évacuée, et l’aéroport de Marseille paralysé. C’est aussi le cas en cet été 2017 très sec et venté, avec déjà 9 000 ha brûlés en 2 semaines.

Ce type d’incendies pourrait bien constituer une « nouvelle génération d’incendies » : des feux très intenses en raison de températures plus élevées et d’épisodes de sécheresse plus nombreux, brûlant des zones où les enjeux humains (maisons, infrastructures) se confrontent à une végétation dense et fortement inflammable. Ces zones d’interface entre activités humaines et milieux naturels inflammables sont très difficiles à défendre par les pompiers.

Face à ces nouveaux défis, plusieurs rapports interministériels ont mis en exergue la nécessité d’une gestion plus durable du risque incendie de forêts. Il existe plusieurs pistes pour y répondre, parmi lesquelles :

  • Rééquilibrer la prévention et la lutte,
  • Faire respecter les obligations légales de débroussaillement et favoriser l’entretien par le sylvo-pastoralisme,
  • Prélever plus de biomasse en forêt et utiliser davantage de biomatériaux,
  • Planter des essences forestières plus résistantes et résilientes au feu,
  • Créer et entretenir des accès pour les pompiers, favoriser les espaces agricoles dans les paysages à risque,
  • Sensibiliser les personnes privées à l’autoprotection de leur habitation.

Toutes ces mesures d’aménagement du territoire peuvent durablement diminuer le risque et les impacts des feux. Elles contribuent à créer des paysages plus résistants au feu : c’est l’approche des territoires « fire-smart », qui vise à gérer durablement le risque incendie à l’échelle des territoires, avec la participation active de tous les acteurs impliqués.