« Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise » : on prête cette maxime à Winston Churchill, dont on dit d’une part qu’il savait gouverner et d’autre part qu’il avait le souci de l’intérêt général. Par malheur, le grand homme n’est plus disponible pour venir dispenser ses sages conseils à un gouvernement confronté à une jaquerie aussi prévisible dans son avènement qu’imprévisible dans son évolution.
Que crient les agriculteurs et les agricultrices ? Que le modèle qui leur est imposé d’une agriculture industrialisée, ultra-productiviste, ravageuse des sols et de la biodiversité à coups d’intrants mortifères, est aujourd’hui dans une impasse. Que ce modèle les broie et les conduit au désespoir, parfois au suicide. Que des normes tatillonnes et une administration vétilleuse les détournent de leur vrai métier. Que la concurrence déloyale de produits importés de pays qui s’affranchissent de ces normes environnementales et sociales les affame. Qu’en dépit d’horaires de travail infernaux, heureux sont celles et ceux d’entre eux qui vivent décemment de leur travail (18 % des foyers agricoles vivaient sous le seuil de pauvreté en 2018, selon l’Insee).
Le paradoxe, c’est que les organisations de protection de la nature, que l’on érige en ennemis à abattre, ne disent pas autre chose ! Et que dans toutes les études d’opinion, les citoyens disent aspirer à une offre alimentaire plus saine pour la santé et pour « la nature ». L’éruption actuelle pourrait donc être l’occasion d’une remise à plat radicale, qui surviendra de toute façon un jour ou l’autre, dans le calme ou la violence.
Mais voilà, le gouvernement a choisi une tout autre voie : celle du tête-à-tête exclusif avec la FNSEA, une organisation qui ne représente guère qu’un quart de la profession (55 % sur une participation de 46 %). A ses moments perdus, le président de la FNSEA Arnaud Rousseau préside aussi le groupe alimentaire Avril, qui a réalisé en 2022 un résultat net de 218 millions d’euros (+45 %) et un chiffre d’affaires de 9 milliards d’euros (+32 %). Penser que ce pur produit de l’agro-business puisse porter les intérêts des paysans d’une part, et d’une agriculture respectueuse du vivant d’autre part, c’est un peu comme nommer ministre de l’Intérieur un parrain de la mafia !
Tétanisé par la peur d’ouvrir un chantier trop vaste pour ses capacités, le pouvoir a choisi la fuite en avant. « On ne devrait jamais tourner le dos à un danger pour tenter de le fuir. Si vous le faites, vous le multiplierez par deux. Mais si vous l’affrontez rapidement et sans vous dérober, vous le réduirez de moitié ». Churchill, encore…