Au pied du mur

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Au début de cette année, les agriculteurs en colère avaient retourné les panneaux d’entrée de communes dans plusieurs départements, pour signifier qu’à leur avis, « on marche sur la tête ». Le symbole était plutôt bien trouvé, et a fait son petit effet dans les médias, au point que le gouvernement de l’époque avait obtempéré sans délai aux injonctions des syndicats agricoles les plus réactionnaires, au premier rang desquels la FNSEA.

Mais les têtes « pensantes » du mouvement agricole ne sont pas toujours aussi bien inspirées. Le 28 novembre, les activistes de la FNSEA ont édifié un mur de parpaings, pour alerter sur le « mur de contraintes » auquel seraient confrontés les agriculteurs. Le problème, c’est l’endroit qu’ont trouvé ces paysans-bâtisseurs pour construire leur muraille : devant l’entrée du siège de l’Institut national pour la recherche sur l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAe). A leurs yeux, en étudiant les ravages du modèle agricole défendu bec et ongles par l’agro-business et l’Etat, les chercheurs de l’INRAe seraient les principaux coupables de leur désarroi.

Le message ainsi délivré est terrible, à double titre.

D’abord, il révèle de manière éclatante le déni que le lobby agro-industriel entend imposer à la société tout entière. En enfermant -métaphoriquement- les scientifiques, les agriculteurs et leurs chefs à plumes se mettent dans la situation du fumeur invétéré qui tousse et crache ses poumons toute la journée, mais qui change de trottoir quand il croise son cancérologue. C’est puéril et suicidaire, mais qu’importe ?

Ensuite, et surtout, en invalidant la parole des scientifiques, les sicaires de M. Rousseau (le président de la FNSEA et du groupe agro-industriel Avril) interdisent à la filière agricole de piloter sereinement la bifurcation à laquelle elle devra se résoudre, qu’elle le veuille ou non.

Pour élaborer des stratégies alternatives au tout-pesticides, pour refonder le modèle agricole mis en place au milieu du siècle dernier et qui montre aujourd’hui quotidiennement qu’il est en coma dépassé, il sera nécessaire de s’appuyer sur toujours plus de connaissances, de recherche dans des disciplines variées. Il faudra savoir affronter la complexité, les contraintes physiques et biologiques. Il faudra pouvoir compter sur la recherche publique. S’en faire une alliée, pas une ennemie qu’il importe de murer.

Plus stupide que le forestier qui scie la branche sur laquelle il est assis, la FNSEA vient d’inventer l’agriculteur qui construit le mur dans lequel il va s’emplafonner.

Bel exploit !

Joyeuses fêtes à toustes ! Prochaine lettre d’Infonature : le 9 janvier