Ah, le légendaire « bon sens paysan »…
Devenus très majoritairement urbains, en serions-nous désormais totalement dépourvus ? Quoi qu’il en soit, le « bon sens paysan » qui se déploie sous nos yeux paraît un peu déconcertant. D’un côté, les agriculteurs -ou celles et ceux qui prétendent parler en leur nom- s’opposent mordicus au traité de libre-échange que l’Union européenne vient de signer avec l’Amérique latine, au motif que les normes environnementales et sociales en vigueur là-bas sont beaucoup moins contraignantes que celles imposées ici. Et qu’en l’absence de « clauses-miroir » dans le traité, qui imposeraient des normes identiques aux produits importés, la concurrence en serait totalement faussée.
Qui pourrait leur donner tort ?
Mais dans le même temps, ils exigent -et obtiennent sans la moindre difficulté- du gouvernement (ou de ce qu’il en reste) qu’il démantèle ces normes qui ont été mises en place au fil des ans pour protéger la vie et la santé des Européen-ne-s (ces urbains dépourvus de tout bon sens, mais aussi et surtout les agriculteurs et agricultrices eux-mêmes), la vie tout court (la biodiversité), et la fertilité des sols (la vie, là encore…). Et cela, au nom de la pérennisation d’une agriculture industrialisée, et en particulier d’un élevage gros consommateur de productions intenses en pesticides divers importées d’Amérique du sud. L’Union européenne importe chaque année 34 millions de tonnes de tourteaux de soja, dont le Brésil est le premier exportateur mondial. 95 % des protéines dont sont nourris les porcs bretons sont constituées de soja importé… Si les normes européennes s’appliquaient à ce soja et en augmentaient le coût, que penseraient les éleveurs industriels porcins, dont la rentabilité est déjà précaire ?
Et c’est au nom de la préservation de ce modèle, qui produit de la déforestation an Brésil et des algues vertes mortelles ici, et qui alimente le désespoir dans les fermes, que les commandos agricoles vandalisent préfectures et sièges de l’Office français de la biodiversité (OFB), saccagent des bâtiments publics, agressent les chercheurs et les chercheuses de l’INRAe, menacent les agents de l’Agence de sécurité sanitaire, voire se livrent à des tentatives de meurtres contre des journalistes ou des agents de l’OFB.
Le tout avec l’assentiment bienveillant des ministres successifs aux yeux desquels toute critique de ce « bon sens » si particulier relève d’un intolérable « agri-bashing » passible d’une répression féroce…