Il est toujours vivifiant de constater que des traditions s’enrichissent, se réinventent… Prenez le rituel post-manif de la querelle de chiffres : désormais, c’est sur le nombre respectif de blessés dans chaque camp que l’on bat le tambour de l’intox. Ce samedi 25 mars, en fin de journée, le Parquet de Niort faisait état de 29 gendarmes blessés dont 2 en urgence absolue, et sept manifestants, dont 3 hospitalisés lors de la manifestation contre la méga-bassine de Sainte-Soline.
On a appris dès le lendemain que ce sont plus de 200 manifestants qui ont été blessés, que l’un d’entre eux luttait contre la mort, un autre étant dans le coma, et que l’urgence « absolue » des gendarmes était finalement toute relative…
Ce narratif étatique censé établir que les forces de l’ordre sont les innocentes victimes de la violence d’opposants qualifiés sans autre forme de procès d’éco-terroristes s’inscrit dans la droite ligne de la communication gouvernementale d’avant la manifestation, qui a sciemment, méthodiquement, fait monter la tension au lieu de chercher des voies d’apaisement. « Nous verrons des images extrêmement dures parce qu’il y a une très grande mobilisation de l’extrême gauche et de ceux qui veulent s’en prendre aux gendarmes et peut-être tuer des gendarmes et tuer les institutions », promettait la veille de la manifestation, tout en nuances et en retenue, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin sur la chaine d’extrême-droite Cnews. La préfète des Deux-Sèvres, de son côté, jugeait urgent d’interdire toute manifestation plutôt que de proposer aux organisateurs un parcours alternatif. Ce faisant, elle justifiait par avance toutes les interventions policières puisque, en bravant une interdiction, tout manifestant devenait un délinquant.
Les observateurs indépendants de la Ligue des droits de l’Homme, présents sur les lieux, mettent en cause « un usage immodéré et indiscriminé de la force sur l’ensemble des personnes présentes, avec un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain ». Selon eux, les cortèges ont été ciblés avant et après leur arrivée sur les lieux par des tirs de grenades lacrymogènes, assourdissantes et explosives. « Des grenades ont été envoyées très loin et de manière indiscriminée » et les détonations « étaient régulièrement suivies de cris d’appel au secours ».
Pas d’angélisme toutefois : les gendarmes blessés ne se sont certainement pas automutilés, et il semble faire peu de doute que quelques tenants de la violence antiflics étaient clairement là pour en découdre… venant ainsi crédibiliser la posture guerrière du ministre de l’Intérieur et justifier la violence policière.
Dans un tout autre contexte, celui de la guerre d’Algérie, Germaine Tillion avait théorisé la notion d’« ennemis complémentaires », le terrorisme du FLN justifiant la torture de l’armée, qui elle-même rendait licites les attentats… A une autre échelle, le même mécanisme est ici à l’œuvre, pour le plus grand bénéfice de l’agro-business. Qui, en effet, se soucie encore du fond du problème : l’accaparement par une poignée d’agriculteurs irrigants (ils sont autour de 7 % en France) d’une ressource commune, vitale pour tous et devenue une denrée rare ?