Le temps des noyaux

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« Mais il est bien court, le temps des cerises, où l’on s’en va deux cueillir en rêvant des pendants d’oreille… ». De plus en plus court, même. Et surtout, de plus en plus cher : jusqu’à des 20 € le kilo, et même beaucoup plus sur certains étals parisiens. C’est que la production de cerises, en France, est en chute libre : – 20 % en 2023 par rapport à la moyenne des cinq années précédentes, qui n’étaient déjà pas fameuses. La faute à ce qu’il est convenu d’appeler le dérèglement climatique, mais que le ministre de l’agriculture Marc Fesneau persiste à qualifier de « températures normales pour la saison ». Les fortes chaleurs favorisent le développement d’un parasite invasif, une mouche dénommée Drosophyla Suzukii, arrivée -par bateau- il y a une quinzaine d’Asie du sud-est. L’impudente pond ses œufs dans les cerises, qui dépérissent illico, puent le vinaigre et deviennent immangeables.

Voilà : le gai rossignol, le merle moqueur, ne sont plus en fête. D’ailleurs, ils dépérissent eux aussi : une récente étude du CNRS révèle qu’il y a 800 millions d’oiseaux de moins en Europe qu’il y a 40 ans, ce qui signifie que quelque 20 millions disparaissent en moyenne chaque année. Et que l’intensification de l’agriculture intensive en est la cause principale. Questionné sur cette étude et les enseignements qu’il en tire, le ministre de l’agriculture -le même- a eu cette réponse magnifique : « c’est quoi l’agriculture intensive ? »

Il est désormais si court, le temps des cerises, qu’il ne nous reste plus que le temps des noyaux. C’est le titre d’un beau poème de Prévert (pardon pour le pléonasme) que l’on dédie à M. Fesneau et à ses semblables, impudents négationnistes de la crise du climat et de la biodiversité. : « Soyez prévenus vieillards, soyez prévenus chefs de famille (…) ce temps-là ne reviendra plus, prenez-en votre parti. C’est fini : le temps des cerises ne reviendra plus et le temps des noyaux non plus. Inutile de gémir, allez plutôt dormir, vous tombez de sommeil, votre suaire est fraîchement repassé, le marchand de sable va passer. Préparez vos mentonnières, fermez vos paupières, le marchand de gadoue va vous emporter. C’est fini les trois mousquetaires, voici le temps des égoutiers… ».