Traditions et progrès

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15 000 personnes manifestaient à Montpellier, ce samedi 11 février. Pas contre la réforme des retraites, mais pour la défense de la bouvine, terme générique désignant des jeux tauromachiques sans mise à mort.

Au micro, le maire LR de Saint-Brès (34) Laurent Jaoul, qui figure parmi les organisateurs, se lâche et fustige « l’écologie punitive, composé d’élus animalistes et écologistes, qui souhaitent remettre en cause des pans entiers de nos traditions et de nos manières de vivre ». Tout ça au motif que quelques personnalités un peu chochottes se sont émues, dans une tribune, de certaines « traditions » bien innocentes. Le « bistournage » par exemple, qui consiste à écraser à la pince le scrotum d’un taurillon -à vif, cela va de soi, vous savez combien ça coûte une anesthésie même locale ?- pour le stériliser. C’est sûrement de cette coutume fraîche et joyeuse que vient l’expression « avoir les couilles dans l’étau ».

Notez bien que les signataires de la pétition n’exigeaient en rien l’interdiction de la bouvine, simplement sa réforme et l’abolition de ses pratiques les plus dégradantes. Mais c’est déjà trop pour M. Jaoul, dont la phrase constitue un savoureux combo, un all-inclusive des stupidités ordinaires ânonnées par les négationnistes de la crise écologique. La référence mécanique à l’écologie « punitive » constitue une belle entrée en matière. En quoi, quand des règles sont édictées pour des raisons écologiques, seraient-elles plus « punitives » que quand elles sont dans d’autres domaines ? M. Jaoul s’indigne-t-il d’un code de la route « punitif » parce qu’on lui interdit de passer au feu rouge ? A quoi ressemblerait une police qui ne serait pas « punitive » ? Une Justice qui s’interdirait de l’être ? M. Jaoul qui, en tant que maire, a dû dans sa carrière refuser quelques permis de construire et autres autorisations d’urbanisme s’estime-t-il lui-même « punitif » ? Ou simplement républicain ?

La suite ne déçoit pas : ces pères fouettards d’écolos punitifs veulent « remettre en cause des pans entiers de nos traditions et de nos manières de vivre ». On lui dit ? Allez, on lui dit : M. le maire, vous avez raison. Il va falloir renoncer à des pans entiers de nos manières de vivre, et réviser quelques traditions. Pas parce que des ayatollahs verts (tiens, il l’a oubliée, celle-là) l’auraient décidé. Mais parce que le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité les rendent, d’ores et déjà, obsolètes. Impraticables. Irresponsables.

Vous savez, M. le maire, ce n’est pas si terrible de renoncer à des manières de vivre. Notre génération a renoncé sans dommage à la tradition de l’ORTF, de l’unique chaîne de télé en noir et blanc, dont le sommaire du JT était décidé dans le bureau du ministre de l’information. Nous avons renoncé aux lettres d’amour écrites à la plume, un SMS fait désormais l’affaire. Dans les territoires les plus ruraux, on a renoncé à cuisiner au bois sur le poêle, une plaque à induction se charge désormais des cuissons.

Mais renoncer à ces traditions-là, c’est sans doute ce que M. le maire appelle, à juste titre, « le progrès ». Au nom de quoi le renoncement à quelques « traditions » barbares et à des « manières de vivre » suicidaires devrait-il être exclu du « progrès » ?