Il y a dans l’Histoire des périodes noires où une simple dénonciation, même anonyme, même mensongère, même dépourvue de tout commencement de preuve, même motivée par la haine, la bêtise ou la simple jalousie, suffit à vous faire inscrire sur quelque liste noire et à vous désigner à la lame des sicaires. A la prochaine rafle, votre compte sera bon…
Au cours des quatre dernières années, dans le seul département de Saône-et-Loire, 6 500 pies bavardes ont cessé définitivement de bavarder. Dans le Pas-de-Calais, 14 500 belettes ont été exterminées. Comme le geai des chênes, l’étourneau sansonnet, le corbeau freux, la corneille noire, la fouine, la martre, le renard et quelques autres, ces pies bavardes et ces belettes figurent sur la liste des « Espèces susceptibles d’occasionner des dégâts » (ESOD). Dans la novlangue de l’administration, ESOD est désormais le terme politiquement correct pour désigner les espèces naguère qualifiées de « nuisibles ».
Pour chaque geai, chaque étourneau, chaque renard, cette inscription est un arrêt de mort. Parce qu’ils figurent sur cette liste d’otages, ces animaux peuvent être abattus, traqués, déterrés de leurs terriers toute l’année, même hors des périodes de chasse, sans que soit prise en considération la place occupée par ces espèces dans les écosystèmes, ni le rôle d’auxiliaire qu’elles peuvent jouer pour l’agriculture et la santé.
La liste est établie sur la base de déclarations de dégâts qui ne font l’objet d’aucun contrôle sur la véracité des faits et les estimations des préjudices. Et quand ces estimations existent, elles établissent le caractère aberrant de ce classement : les « dégâts » qui leur sont imputés représentent 1 centime pour chaque pie morte et 90 centimes pour chaque belette !
En outre, aucune publication scientifique ne prouve que l’élimination des espèces classées ESOD permet de limiter les dégâts, parfois… c’est même le contraire ! Une étude parue en 2017 dans la revue The Royal Society Publishing confirmait, par des analyses de terrain, que la diminution des prédateurs tels que le renard roux, la marte ou le blaireau a des effets directs sur la transmission aux humains de la maladie de Lyme, dont plus de 30 000 nouveaux cas sont recensés chaque année en France, faisant de cette maladie invalidante un enjeu de santé publique. L’activité des prédateurs, en régulant les populations de rongeurs porteurs des tiques, abaisse le nombre de tiques dans un écosystème. Moins il y a de tiques, moins elles sont elles-mêmes infestées par des pathogènes comme la bactérie responsable de la maladie de Lyme.
Le mois dernier, un sondage réalisé par l’IFOP révélait que 65 % des Français sont opposés à ce classement imbécile (64 % dans les communes rurales). A la question « Pensez-vous que le traitement infligé au renard en France soit justifié ? », 71 % répondent non.
Pourtant, impavides, les services du ministère de l’écologie s’apprêtent à reconduire pour trois ans leur liste noire. Pour complaire aux lobbies de la chasse et de l’agriculture, ils n’hésitent pas à braver l’opinion majoritaire de la population.
La seule question qui vaille, au fond, c’est « qui sont vraiment les nuisibles » ?