C’est dingue ce que notre gouvernement, pourtant très porté sur la communication et les annonces tonitruantes, a parfois des modesties de violette, des pudeurs de chaisière, des discrétions de félin… Il fallait être très attentif, la semaine dernière, pour découvrir que le relèvement de la redevance pour pollutions diffuses, perçue sur les ventes de pesticides, et de celle sur les prélèvements d’eau pour l’irrigation, a été abandonné en douce.
Prévue dans le budget 2024, cette hausse devait permettre de lever près de 50 millions d’euros pour le financement des agences de l’eau et du plan « eau », dans un contexte de raréfaction et de contamination généralisée de la ressource en France.
Si le ministre de l’agriculture n’en a rien dit, la FNSEA s’est au contraire bruyamment félicitée de ce « succès ». Ce permis de polluer et de gaspiller l’eau sans retenue, généreusement accordé au lobby de l’agriculture industrielle, interpelle à double titre.
D’abord, il montre une fois de plus l’incapacité du système agro-industriel à envisager la moindre évolution. C’est faire insulte au monde paysan que de penser qu’il serait incapable de tirer le constat de l’impasse dans au bout de laquelle il est parvenu, et de concevoir un modèle compatible avec les impératifs de notre époque. Mille résistants, mille pionniers, montrent que d’autres agricultures sont possibles, aussi rentables, aussi viables économiquement, aussi capables de nourrir la population. Mais voilà : l’alliance de la mafia agro-industrielle et de la compromission politicienne verrouille le système, pour le plus grand profit de quelques apparatchiks.
Dans les années 1950, on a su passer, en quelques années, d’un modèle d’agriculture artisanale à un système industriel, considéré comme adapté aux besoins du moment. Pourquoi serait-il impossible aujourd’hui d’envisager une révolution de cette ampleur ?
Peut-être, et c’est la deuxième question que pose ce constat, parce qu’il manque un récit, un objectif, qui rende désirable cette révolution qui n’est aujourd’hui « que » nécessaire. Quand on a démembré, remembré, industrialisé l’agriculture dans les années d’après-guerre, quand on a transformé à marche forcée les « paysans » en « exploitants agricoles », c’était au nom du « Progrès ».
Personne ne parle de renoncer à « progresser », ni de revenir à un âge d’or fantasmé. Il s’agît simplement de définir un « progrès » pour notre temps. Il faudra, pour cela, bousculer les résistances des « progressistes » d’hier, devenus des réactionnaires repus.