Chacun connaît la filiation entre Saint Louis et Éric Dupont-Moretti : le premier rendait la justice sous un chêne, le second comme un gland. Mais entre Georges Clemenceau et Marc Fesneau ? Le premier, « le Tigre », « le Père-la-Victoire », fut un homme d’État aussi intraitable dans sa conduite de la guerre contre l’Allemagne en 1914-1918 qu’il l’avait été auparavant dans la répression des mineurs de Courrières en 1906 et des vignerons de Béziers en 1907. Le second, affublé du titre de ministre de l’agriculture, est aujourd’hui le zélé fondé de pouvoir de l’agro-industrie et de la FNSEA qui l’actionne.
Une phrase de Clemenceau, dont l’humour féroce est aussi légendaire que son verbe fleuri, tisse un lien entre les deux. A propos de son directeur de cabinet Georges Mandel, Le Tigre disait : « C’est très pratique, quand je pète c’est lui qui pue ». A l’évidence, Marc Fesneau a fait sienne cette maxime.
Dans une note de service datée du 20 avril, la direction de l’Office français de la biodiversité, dont les inspecteurs assermentés sont chargés de la police de l’environnement, leur a ordonné de s’abstenir de procéder à des « constatations en flagrance », c’est-à-dire de dresser des procès-verbaux aux arboriculteurs en cas de flagrant délit d’épandage de pesticides dangereux sur des cultures en fleur. Or la culture des fruits est l’une de celles qui utilisent le plus de pesticides. Sans ces contrôles, impossible de vérifier l’application de l’arrêté « abeilles » de novembre 2021, qui renforce la protection des pollinisateurs et la santé des riverains. Cet arrêté dont l’OFB sabote méthodiquement l’application a été pris à contre-cœur par le ministère de l’agriculture, après que le Conseil d’État lui a ordonné, entre autres, de faire respecter des distances de sécurité entre les habitations et les zones d’épandage de tout produit classé cancérogène, mutagène ou toxique.
« S’agissant spécifiquement des pulvérisations par les arboriculteurs, les services déconcentrés vont, à la demande du MASA [ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire], engager en 2023 une campagne de sensibilisation-contrôles afin de vérifier la bonne appropriation de cette nouvelle réglementation par ces derniers », précise la note révélée par Le Monde. Là est l’entourloupe : à la différence des agents de l’OFB, ces services n’interviennent pas en flagrance, mais programment leurs visites plusieurs mois à l’avance et en informent complaisamment les destinataires. En outre, leurs interventions ne donnent pas lieu à la saisine du Parquet si, par une extraordinaire malchance, une infraction est constatée.
En clair, M. Fesneau organise la violation d’un arrêté de son propre ministère, mais il impute ses flatulences nauséabondes à la direction de l’OFB.
Voilà qui ramène irrésistiblement à la question indépassable de la Zazie de Raymond Queneau : ce pouvoir qui mobilise drones et armes de guerre pour réprimer les militants écologistes mais ordonne à sa police de détourner le regard des crimes et des délits du business en général, et du nécro-business agricole en particulier ; ce pouvoir impitoyable avec les défenseurs de l’intérêt général, mais vautré aux pieds des intérêts particuliers, doukipudonktan ?