Loup, ours, breton, occitan, même combat !

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Il y a des dieux cruels, et d’autres plus bienveillants. Pour la même faute, le pécheur sera ici puni d’un terrifiant supplice, là d’une admonestation magnanime. Ainsi, du péché d’orgueil, que commet couramment l’humain avide de défier ses dieux. Prométhée, coupable d’avoir par la ruse subtilisé le feu à Zeus, fut condamné par ce dernier à rester enchaîné nu à un rocher où un aigle venait, jour après jour, lui dévorer le foie.

Pour la même incrimination, les humains de la Genèse, convaincus d’avoir entrepris à Babel la construction d’une tour assez haute pour atteindre les cieux, se virent infliger par leur locataire (devenu unique) un bienfait inattendu : l’extrême diversité des langues et des cultures. Avec elle, la chance de pouvoir porter sur le monde des regards différents, de pouvoir échanger, se contredire, s’enrichir. S’engueuler. Se faire la guerre, aussi : rien n’est jamais parfait, même dans une ordonnance divine… Franchement, qui voudrait aujourd’hui revenir à une situation pré-babelienne où l’humanité n’aurait à sa disposition qu’une seule langue pour penser ? C’est pourtant bien la menace que contient la généralisation planétaire de ce sabir d’aéroport dans lequel un Anglais peine à reconnaître sa langue. Il y a dans le langage, comme dans la nature, des espèces invasives qu’il convient de juguler pour que jaillissent la vie, la diversité, la profusion…

Une étude publiée par la revue scientifique américaine Proceedings of the National Academy of Sciences montre que les régions ayant un niveau élevé de biodiversité contiennent également une grande partie de la diversité linguistique du monde. Sur près de 7 000 langues sur Terre, plus de 4 800 sont parlées dans ces zones de grande diversité biologique. Beaucoup de ces langues sont en voie d’extinction, tout comme les espèces de ces régions. Les linguistes estiment que 50 à 90 % des langues du monde vont disparaître d’ici la fin du siècle.

Cette collision de la biodiversité et de –comment dire ? La lexicodiversité ?- interroge à plus d’un titre. Si certaines langues -dont le français- sont parlées sur tous les continents ou presque, c’est en général pour de très mauvaises raisons historiques. Il y aura fallu force guerres, massacres, invasions, annexions, colonisations… y compris en France métropolitaine (Bretons, Basques, Occitans et quelques autres comprendront).

De même dans la nature : l’homme a totalement vaincu le sauvage : plus de trous sur la carte, la domination territoriale de l’humanité est aujourd’hui sans partage. Nous sommes particulièrement bien placés, nous autres francophones, pour savoir qu’un vainqueur a parfois tout intérêt à se laisser civiliser par son vaincu. Nous devons notre langue aux Romains. Qu’auraient-ils eu à nous transmettre, s’ils n’avaient emprunté à des Grecs qu’ils avaient pourtant défaits leur sagesse, des pans entiers de leur vocabulaire, leur science, leur philosophie et leur droit ? L’homme, qui l’emporte aujourd’hui sur le sauvage, saura-t-il adopter la sage attitude des Romains ou, ivre de son triomphe, mettra-t-il ses pas dans ceux de Prométhée ?

Des vols d’aigles, toujours aussi friands de foie humain, attendent la réponse avec beaucoup d’intérêt.