Les tubes des rockstars ne meurent jamais. Prenez l’indémodable Tina, qui valut à la très punk Maggie T sa notoriété planétaire dans les années 80 : pas un show gouvernemental sans reprise de ce standard. Si le ministre de l’Agriculture, un certain Marc Fesneau, vient d’exiger de l’Agence française de sécurité sanitaire (ANSES) qu’elle renonce à interdire l’un des herbicides les plus dangereux pour la santé humaine, le S-métolachlore, ainsi qu’elle avait prévu de le faire, c’est en scandant Tina : There is no alternative.
Avec 1 946 tonnes par an, le S-métolachlore est l’une des substances actives herbicides les plus utilisées en France, essentiellement dans les cultures du maïs, du tournesol et du soja. C’est aussi, selon l’agence européenne de santé, un produit cancérigène. Après usage dans les champs, cette substance se dégrade en des dérivés chimiques, des « métabolites », qui se retrouvent dans les sols, les eaux de surface et les eaux souterraines. Lors des contrôles des eaux destinées à la consommation humaine réalisés en France, trois métabolites du S-métolachlore ont été fréquemment détectés à des concentrations dépassant les normes de qualité fixées par la législation européenne. L’ANSES avait donc toutes les bonnes raisons d’entamer la procédure de son interdiction.
Oui mais voilà : Tina ! Il n’y a pas d’alternative. Pour se garantir un triomphe avec sa reprise du tube de Thatcher, DJ Fesneau a soigneusement choisi son public : c’est en direct du congrès de la FNSEA qu’il a annoncé sa décision de museler une agence indépendante. Quelques jours plus tard, sur une autre scène, l’interprète s’est surpassé en ajoutant au refrain cette trouvaille de génie : « Si on interdit une molécule en France, on ment aux Français si on dit que des produits ne viendraient pas d’Espagne ou… ». L’ovation ainsi déclenchée l’a empêché de finir sa phrase. Dommage. Il aurait pu expliquer qui sont les affreux qui osent ainsi « mentir aux Français ». Pas l’ANSES, tout de même ? Il aurait pu aussi nous dire pourquoi, si les Espagnols choisissent de répandre dans leurs sols et leurs eaux des produits reconnus cancérigènes, les Français devraient en faire autant. En quoi, en somme, ce serait mentir aux Français que de les préserver du cancer.
Il aurait pu, surtout, préciser quelle « alternative » serait de nature à satisfaire les marionnettistes qui l’actionnent, planqués derrière leur chapiteau siglé FNSEA. Faudra-t-il attendre qu’un produit rende plus ou moins les mêmes services que le S-métolachlore pour qu’on envisage de renoncer à empoisonner champs et rivières ? Dans ce cas, ce n’est pas d’« alternative » qu’il faut parler, mais seulement d’ « ersatz ». L’ersatz, c’est ce à quoi l’on se résout quand on n’a pas d’autre choix, ou qu’on ne veut pas choisir. C’est la chicorée que l’on boit pendant l’Occupation, pour oublier la pénurie de café. L’alternative, c’est quand on choisit, sciemment, une autre voie. Un autre modèle agricole par exemple. Voire un autre modèle alimentaire, moins intense en protéines animales gourmandes en maïs, en tournesol et en soja, donc en S-métolachlore.
L’alternative, on ne l’attend pas, on la décide. Ca s’appelle « gouverner ».